Réalisateur de génie aux talents multiples et conséquents ( il scénarisa et cadra notamment le chef d'oeuvre Angst de Gerald Kargl en 1983 ) le grand Zbig Rybczynski accouche en 1990 d'un véritable monument du cinéma expérimental : L'orchestre, installation vidéo d'une ampleur colossale qui reprend énormément des techniques visuelles et rythmiques de ses précédents courts métrages...


D'emblée son extraordinaire Tango vient à l'esprit au regard de cette hexalogie orchestrale pour le moins brillante ; le caractère progressif de chacun des segments du dispositif témoigne d'un mariage perfectible entre l'image et la musique. S'ouvrant sur le thème d'Elvira Madigan L'orchestre nous immerge dans une vaste promenade au coeur de la grande musique, illustrant avec une ingéniosité magistrale les couleurs émotionnelles de chaque morceau... Ainsi le concerto de Wolfgang Amadeus Mozart se présente à nos yeux comme une élégante visite guidée au coeur d'une soirée mondaine, jouant sur une mouvance latérale proche de la berceuse ou du transport sociétal : le plan-séquence est stupéfiant, transformant le célèbre thème en l'une de ses plus belles utilisations dans l'Histoire du Septième Art...


Lui succède la Marche Funèbre de Chopin : là Rybczynski triture l'image au coeur même de son plan, jouant sur un montage évoquant les trucs de Georges Méliès et ses escamotages magiques. En synchronisant avec une redoutable précision les rythmiques de la sonate à l'enchaînement soustractif de ses éléments visuels ( à chaque note de piano correspond l'apparition puis la disparition d'une figure humaine et endeuillée ) Zbigniew Rybczynski retranscrit admirablement la charge mortifère de la pièce musicale de Chopin. Superbe.


Vient ensuite un poème visuel proche de la pantomime et du cinéma muet, comme en deux dimensions : accompagné de l'Adagio d'Albinoni ce petit film de clown triste dégage, sans payer de mine, une saisissante beauté mélancolique. On pense indirectement à l'Oeuvre de Pierre Etaix mais également aux aplats visuels du cinéma expérimental de Norman McLaren et ses animations évolutives...


Le quatrième segment, davantage baroque, décuple les espaces tout en peaufinant le caractère perfectible de la simultanéité image/musique du projet de l'installation. La Gazza Ladra de Rossini épouse en grande pompe une sorte du fugue enjouée mais tumultueuse située dans l'intimité spectaculaire d'un musée. Toujours progressif, fascinant pas sa puissance et son exaltation ce segment demeure l'un des plus impressionnants du métrage. Un travail d'orfèvre.


C'est alors que l'Ave Maria de Schubert se fait entendre. La tonalité mineure du morceau, épurée mais somptueuse, présente un couple d'anges nus comme au matin du monde, survolant la nef d'une église dans une élégie bouleversante. Le segment est court mais resplendissant, véritable poème aérien touchant à la matière même de son sujet, sans jamais le dénaturer.


L'orchestre se termine avec Le Boléro gigantesque de Maurice Ravel, clôturant le projet de Zbig en un incroyable climax cinématographique. Pour ce faire le réalisateur illustre la dimension apocalyptique du chef d'oeuvre orchestral en y instillant les préoccupations politiques de l'Europe contemporaine, à savoir la chute imminente du communisme et les fantômes de Lénine et du bolchevisme. Jouant sur le même principe d'accumulation et de répétition que dans le court métrage Tango ce sixième et dernier sketch parachève la brillance de l'installation...


Un film sublime, monument technique de premier choix. Zbigniew Rybczynski s'affirme là comme un véritable précurseur de l'art vidéo, comme une source d'inspiration particulièrement précieuse pour un bon nombre de réalisateurs de clips musicaux et de fictions en tous genres. Ravissant.

stebbins
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le 5 mars 2019

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