Une promenade de campagne
Peu de peuples africains peuvent se prévaloir d'avoir autant fait fantasmer les Européens. Prononcer le mot Zoulou aujourd'hui pourrait faire sourire comme se faire traiter de vandale pourrait simplement renvoyer à une bulle du Capitaine Haddock. Oui mais voilà ; il fut un temps pas si lointain où, à l'instar des Vandales, des Huns et autres Mongols, le petit européen était pétrifié à l'évocation de ce peuple.
Le film de Douglas Hickox traite d'une période peu évoquée : celle de la conquête de l'Afrique du Sud pour le compte de la couronne britannique en cette fin de XIXè siècle triomphant pour les Européens. Sûrs de leur puissance, de leurs connaissances, de leur culture, les hommes blancs s'installent partout, conquiert, contrôle et se font maîtres du monde. Même la puissante Chine n'est plus que déclinante comme semble devoir le justifier le fameux 55 jours de Pékin. Oui mais voilà, parfois, un grin de sable peut tout faire basculer. Ce peut être un petit iceberg et alors les certitudes se retrouvent à 3000 mètres de fond. Mais 40 ans plus tôt, ces certitudes sont balayées par un peuple fier qui se bat avec des lances et court partout en hurlant ZOULOU ! ZOULOU ! ZOULOU !
L'épisode précis fait écho à la bataille d'Isandhlwana, janvier 1879, qui vit les britanniques être écrasés par les forces du roi Cetshwayo. Le traumatisme fut grand au Royaume-Uni et cette défaite demeure la pire jamais connue par une armée occidentale moderne face à un peuple considéré à l'époque comme sortant tout juste de la préhistoire. Un peuple sauvage donc, devant être balayé par les salves de canons et de fusils à répétition ... le thème est à tout le moins très intéressant et rare ! Il suffit de revoir les 55 jours de Pékin cité plus haut pour se souvenir de la propension occidentale à aisément mettre en avant ses victoires et la bassesse des adversaires au cours de cette période allant de la fin du XIXè à la guerre 14-18.
Douglas Hickox livre une copie de prime abord très classique. Le début est assez lent, à l'image de ces mondaineries d'officiers, de ce pot qui n'en fini pas, de ces robes. Tout juste évoque-t-on les Zoulous, de temps à autres soit par quelques phrases sur ces sauvages, soit par quelques scènes où le roi assiste à des combats violent, au rythme d'une mélopée toute primitive. Les persos sont posés les uns après les autres sans finesse. Le casting est royal, il faut passer un peu de temps avec tout le monde : Bob Hoskins qui efra la peau de Roger Rabbit, Denholm Elliott qui rejoindra Indiana Jones, Simon Ward l'antéchrist et, bien entendu les deux immenses Burt Lancaster et Peter O'Toole. A ce dernier le rôle d'un anti Lawrence d'Arabie, Lord Chelmsford, sûr de sa victoire, froid, politicien et avide de purger le Zululand de ses guerriers. Au précédent le rôle sur mesure d'un officier valeureux, respectant les Zoulous, et devinant la catastrophe à venir, le Colonel Durnford.
On pourra reprocher la lenteur du début, les combats ultra classiques, le manque de sang crédible, l'impression que des milliers de Zoulous se font descendre contre moins d'Anglais alors que les pertes de ces derniers furent équivalentes. On pourra reprocher le côté mondain, propre, presque simplement esthétique de certaines scènes. On pourra regretter que, finalement, ces Zoulous ne sont pas nécessairement mis en valeur. Oui mais voilà, à bien y regarder, ce film est plus profond.
Oui, je pourrai même affirmer que ce film est sauvage. Sauvage comme ces enfants tués sans émotion, les deux par des balles anglaises alors que l'un d'eux est ... anglais. Sauvage comme le traitement infligé aux auxiliaire de l'armée britannique, au mieux insultés et traité - ce qui est normal vu le contexte - comme des sous-hommes, souvent à peine mieux que des esclaves à peine bon à porter des minutions. Sauvage comme ces sous-officiers respectant à la lettre un code qui dit qu'on doit faire une demande avant de recevoir des munitions et, de toute façon attendre son tour. Sauvage comme la volonté de Lord Chelmsford d'éradiquer totalement ce peuple.
Le film se termine par une scène hallucinante de beauté : un tête à tête avec le soleil et les ténèbres. pas un mot, juste le regard de Peter O'Toole.
Comme nous sommes au temps des remakes, refaire ce film serait aujourd'hui l'occasion de plus de gore, d'explosion, de caméras aériennes pour suivre les éclatements et regroupements de ces Zoulous. Il y aurait certainement un message contre le racisme, un tableau très noir des occidentaux prédateurs, saloperie d'impérialistes. Bien entendu, cerise sur le gâteau, exit les figurants, bonjour les pixels et, pourquoi pas, les centaines de milliers de guerriers noirs fondant sur les rares blancs, sorte de fourmilière s'attaquant à un campement de termites. Il manquerait alors certaines choses qu'apporte ce film : une élégance toute victorienne, des acteurs figés dans leur destin funeste, une approche tragique digne de Kurosawa et donc de Shakespear ...
Le 8 est généreux ; mais ce film, pour peu qu'on s'y attarde vraiment, est riche et mérite d'être sorti de l'ombre.