Les prémisses du grand Terrence Malick

Curieuse impression que celle laissée par le premier film réalisé par Terrence Malick à l’époque où il n’était pas encore Terrence Malick. La Balade sauvage contient déjà les germes des Moissons du ciel ou de The Tree of life avec les récurrences de voix-off et les extraordinaires plans larges de ciel crépusculaire ou de champs de blé des Great Plains.


La caméra de l’apprenti réalisateur suit l’itinéraire de deux amants qui fuient à travers l’Amérique suite à un premier meurtre qui en entraîne irrévocablement d’autres. L’histoire est inspirée d’un fait divers réel ayant eu lieu dix ans plus tôt dans le Midwest. À partir de la personnalité de Kit –le tueur- le film se plaît à jouer avec les genres : tragédie classique, western, road movie. Ce jeu de références est permis par ce jeune éboueur paumé qui se prend pour James Dean, persuadé qu’un destin glorieux l’attend. Le jeune premier haut en couleur est tourné en dérision par Malick qui avance les références génériques uniquement pour montrer en quoi elles ne prennent pas. Tout sonne creux afin de mettre en évidence le profond narcissisme et la vacuité du personnage de Kit.


Il a dix ans de plus que Holly, il est éboueur, elle habite dans une belle banlieue résidentielle. Ils se tournent autour mais le père d’Holly s’oppose à cet amour. Kit décide donc d’assassiner celui qui perturbe ses plans, lançant ainsi leur cavale meurtrière. De prime abord, Kit et Holly peuvent apparaître comme un couple tragique victime d’une passion interdite : ils rappellent Rodrigue et Chimène du Cid ou Roméo et Juliette. Soumis à leur destin tragique, ils courent tous deux vers la mort. Toutefois, il est difficile d’éprouver de l’empathie pour ce couple qui dégage si peu de passion : les crimes sont commis avec légèreté, Kit ne tue que parce qu’il se rêve en grand criminel, Holly est présentée comme une adolescente naïve et les nombreuses séquences en voix off donne l’impression d’écouter le journal intime d’une fillette. Les personnages ne créent pas d’émotion, même l’un envers l’autre : ils ne se comprennent pas –sans doute en raison du décalage d’âge- ils communiquent à peine. La tension tragique de cette balade est une coquille vide.


Le film emprunte aussi aux genres du western et du road movie ou plutôt les détourne pour mieux montrer en quoi Kit n’est ni James Dean, ni John Wayne. Par son accoutrement et dans l’expression de ses désirs, le jeune meurtrier évoque en tout le cow-boy du Far West : il porte des santiags, des vêtements en jean, un grand chapeau, il règle ses comptes lui-même et poursuit farouchement la frontière. Cependant, la frontière du monde civilisé et de l’Amérique sauvage et inexplorée n’existe plus dans les années 1950 et Kit n’apparaît plus que comme un enfant plein d’illusions, tout juste bon à se prendre pour un personnage de film. Au début de leur périple, ils tentent de vivre dans les bois bousculant alors le mythe américain de l’autosuffisance dans une nature faste et idyllique : l’ennui les ronge et les fermiers du coin viennent les déloger.


Les références au road movie entrent dans la même logique et viennent seulement montrer la vacuité du personnage de Kit : ses rêves et sa folie le happent sur la route mais la jeune Holly ne suit pas. Enfin d’abord, si, mais elle ne suit que parce qu’ils sont liés par les meurtres commis et dès que la fin approche, fatiguée, elle renonce à le suivre plus longtemps. Le clou de cette mascarade a lieu lorsqu’au cœur de la course poursuite finale avec la police, Kit crève lui-même le pneu de sa voiture, élève un monticule de pierre pour marquer l’endroit où il a été arrêté puis se rend. La folie de Kit a quelque chose de burlesque : animé par ses pulsions d’héroïsme, il va jusqu’à enregistrer le récit de son destin sur un dictaphone, il se laisse guider sa direction par une bouteille qui tourne, il tire au revolver dans un ballon.


Comme pour expliciter ce que le spectateur avait déjà bien en tête, les policiers démasquent Kit et mettent fin au jeu des apparences en lui ôtant son chapeau de cow-boy et en le jetant par la fenêtre. L’homme qui se voulait à la fois James Dean et « grand criminel » est ainsi rendu et renvoyé à la rubrique des faits divers dont il n’a pas su s’échapper.

CQN
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le 30 déc. 2018

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