Sur le canevas classique du road movie, Peter Bogdanovich brode une fable délicieusement surannée.
Parfaitement assumé et réalisé, le noir et blanc se fait émissaire d’une époque révolue, difficile mais attachante, terrain de jeu privilégié de Moses, anti-héros atypique. Plus qu’un banal exercice esthétique, ce choix est dicté par la volonté affirmée du réalisateur d’entraîner son public à travers l’Amérique des années 30, ses mœurs, ses personnalités, son quotidien, avec beaucoup de délicatesse mais un idéalisme modéré. Car si la toile dépeinte est agréable, la radio n’oublie jamais de nous rappeler que cette période fut rude pour ce pays.
Peut-être une forme de justification des actes malhonnêtes de Moses, arnaqueur au grand cœur tel que le cinéma se plait à mettre en scène. Armé de son incroyable bagout, de modestes tours de passe-passe en coups fumants, le bonhomme – interprété avec une grande aisance par un Ryan O’Neal en pleine possession de ses moyens – parcourt l’état du Kansas à la poursuite d’une fortune qui ne viendra jamais.
Pas au sens pécunier du terme en tout cas.
La vérité est ailleurs. Chez cette enfant à la langue bien pendue, indésirable compagnon de voyage dont la joyeuse frimousse fait vite oublier les mauvaises habitudes. Fumer, voler, tricher. La petite n’a rien de l’ingénue que l’on croise usuellement à l’écran. De l’incompatible relation entre ces deux-là, naissent d’hilarantes situations et de rocambolesques aventures. Promiscuité de la Route oblige, passés le choc de la rencontre et la peur de l’autre, la symbiose va s’établir et une magnifique amitié – étrange alchimie entre relations familiales, professionnelles, amicales, adultes, enfantines – se créera. Inhabituelle et jamais manichéenne, cette amitié est d’une rare intensité, simple en apparence mais subtile en vérité, elle évoque par sa grâce de tous les instants, les plus belles productions du maître Chaplin. Parfait dosage entre humour et émotion.
Et comme il se doit à la fin d’une telle aventure, si tu ne verses pas une larme – étrange condensé de joie, de tristesse et de pure beauté – c’est que tu n’as pas de cœur.
-IgoR-
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le 7 mai 2014

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-IgoR-

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