Texte originellement publié le 26/01/2018 sur Revus et Corrigés :
https://revusetcorriges.net/2018/01/26/la-beaute-des-choses-1995


A posteriori, le dernier film d’un cinéaste est toujours une affaire délicate, d’autant plus pour Bo Widerberg, dont le canon cinématographique a proposé une autre vision du cinéma suédois. Profondément autobiographique dans l’évocation de son contexte, à l’histoire simple et pourtant pas loin d’être testamentaire – Widerberg décèdera deux ans après la sortie – La Beauté des choses est un mélodrame touchant autour de l’interdit. Widerberg y filme une chronique adolescente qui vaut par son authenticité (confondue dans les souvenirs de jeunesse du réalisateur) et son regard sur la découverte de la sexualité, déséquilibrée, incandescente, risquée.


Pour Widerberg, La Beauté des choses était aussi une pulsion intime, de longue date : un scénario écrit dix ans auparavant, déjà dans la perspective d’y faire jouer son fils, Johan Widerberg, avec qui il ne manquera pas de se disputer durant des années pour des raisons intimes (son départ pour une nouvelle femme). Tout ceci est retranscrit, en surface ou dans les détails, au sein du métrage : le jeune Stig, interprété par Johan Widerberg, est en conflit avec la figure paternelle, alimentant son désir d’aller braver l’interdit vis-à-vis de son professeur, Viola, la splendide Marika Lagercrantz. Le film s’alimente de la sorte d’un certain nombre de nuances émotionnelles, toutes en lien avec le cinéaste et sa jeunesse dans une Suède neutre, Seconde Guerre mondiale en arrière-plan. Les traumas s’y télescopent, mais ne sont pas en surface : comme la relation secrète entre l’élève et sa maitresse (dans tous les sens du terme) ; comme l’incident du sous-marin Ulven qui hanta à l’époque la Suède, et hante Stig qui y perd son frère aîné.


Le refus de facticité émis très tôt par Widerberg, comme contestation vis-à-vis d’un certain cinéma suédois (notamment celui de Bergman, que pourtant il côtoya), est ici peut-être plus nuancé que par le passé. Il y a toujours le refus du studio ou de stylisation excessive, mais il trouve dans La Beauté de choses un film d’une élégance formelle indéniable, notamment permise par la photographie du chef opérateur Martin Bruus. C’est à l’instar de François Truffaut (aussi ancien critique, comme Widerberg) qui nuança son approche formelle dans Le Dernier métro. Et pour cause, la Nouvelle Vague a beaucoup inspiré Widerberg – et donc, aussi ses évolutions. La Beauté des choses est in fine un film très sensoriel, dans la restitution des textures (comme des souvenirs d’enfance, encore, des odeurs, du toucher), et, forcément, vis-à-vis de l’érotisme autour de Viola et son jeune amant Stig.


Évidemment, le fantasme, l’idylle, ne dure qu’un temps, bientôt corrompue par la faiblesse psychologique de l’adolescent face à la manipulation (involontaire ?) de l’amante mariée. La chronique de vie adolescente de Widerberg se transforme alors en tragédie, amère, cruelle. La photographie se rigidifie, les relations entre les personnages deviennent troubles et complexes, loin de leur pureté originelle. Stig s’éprend d’amitié pour le mari de Viola, Frank, et sa désespérance. La Beauté des choses a aussi une facette triste, mélancolique. Une dernière touche, pleine de délicatesse, pour compléter et achever, peut-être de manière prématurée, la carrière d’un grand réalisateur suédois, à qui Berlin aura su rendre hommage, avec un Ours d’Argent décerné au film.


La Beauté des choses est disponible en DVD, édité par Malavida Films, accompagné d’un livret de 16 pages autour de Bo Widerberg et du film, notamment des articles signés Marten Blomkvist et Stig Björkman.

ltschaffer
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Le cinématographe vu et revu en l'an de grâce 2018

Créée

le 26 févr. 2018

Critique lue 1.1K fois

7 j'aime

1 commentaire

Lt Schaffer

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

7
1

D'autres avis sur La Beauté des choses

La Beauté des choses
Lalaitou
9

Aimer c'est s'annoblir.

Widberg est un réalisateur généreux et intelligent. Intelligent car dans un rythme enlevé il nous plonge dans un amour professeur-étudiant qui aurait du mal à être raconté à notre époque où...

le 10 févr. 2020

2 j'aime

La Beauté des choses
constancepillerault
7

Critique de La Beauté des choses par constancepillerault

Un sujet assez classique (la relation entre un adolescent qui découvre la sexualité et une femme son aînée d'environ 20 ans), mais qui possède sa propre personnalité. Si le film n'est pas...

le 3 févr. 2020

2 j'aime

1

La Beauté des choses
stebbins
9

Une beauté qui bas de soie...

Cinéma réaliste, hédoniste et sensualiste que celui du regretté Bo Widerberg... Au crépuscule du XXème Siècle sort donc La Beauté des Choses, formidable chant du cygne d'une Oeuvre cinématographique...

le 12 juin 2020

Du même critique

Le Hobbit : La Désolation de Smaug
ltschaffer
6

La déception de Smaug

En initiant sa nouvelle saga avec l’excellent Le Hobbit : un voyage inattendu, Peter Jackson a divisé les foules, s’attirant les ires d’une partie du public qui souhait vraisemblablement retrouver...

le 9 déc. 2013

70 j'aime

4

Le Convoi de la peur
ltschaffer
10

Voyage au bout du Styx

A l'occasion de la ressortie de Sorcerer par La Rabbia, j'en profite pour remettre à jour une ancienne critique de cette version restaurée, rédigée alors qu'elle avait été présentée à la Cinémathèque...

le 29 oct. 2012

54 j'aime

7