Je vais essayer de passer rapidement sur l’admiration que j’ai pour Christophe Gans. Qu’on critique la mollesse de Crying Freeman, l’hétérogénéité du Pacte des loups ou la désincarnation de Silent Hill, il a toujours offert des monuments d’ambiance, en se dévouant corps et âme à développer son projet, cherchant à la fois la classe, l’action et la profondeur (dans ses personnages, leurs sentiments et leurs choix). Et avec quel panache ! C’est le mot « panache » qui ressortira toujours avec Gans. Mais pas ici. Comme le laissait, hélas, entrevoir les bandes annonces au fur et à mesure que la sortie se rapprochait, le script part dans plusieurs idées sans en privilégier, ce qui donne carrément un goût d’inachevé rajoutant ça et là des touches inutiles qui alourdissent le film plutôt que de l’alléger. Le meilleur exemple de ce genre d’incongruité sont les tadums, sorte de petites mascottes vouées à être imprimées sur les paquets de pop corn, conçu pour leur bouille trop mimi histoire de rameuter les gosses dans la salle, alors qu’ils ne servent finalement à rien de plus que meubler quelques séquences (oui, c’est mimi, mais bon, on aurait aimé, quitte à les voir davantage, qu’on leur accorde plus d’importance que des bibelots vivants). Le plus dur, dans une adaptation de conte moderne, c’est de faire la part entre la naïveté visée (tout en simplicité et en sincérité) et la niaiserie, son alter égo pataud et agaçant. Et cette version navigue un peu entre ces deux là, allant de l’un à l’autre en peu de temps, et sous plusieurs formes.

Question direction artistique, c’est clairement elle qui sauve le film. C’est la grande classe question décors et ambiance, du gothisme enfiévré comme seul Gans pouvait en faire. Sans lorgner vers Burton (ce qu’on pouvait craindre), il nous offre un château somptueux et des séquences bal merveilleuses (sans parler des banquets, on retrouve le faste d’un Legend). A l’exception des couronnes, les robes de Belle sont somptueuses, et pour l’enchantement visuel que constitue le film, il convient de le visionner au cinéma. C’est sur le reste que cela pêche un peu. Question acteur, Léa Seydoux confirme ce qu’on pensait d’elle, à savoir que c’est quand elle veut (capable de passer du ton juste à la contre-performance en un seul plan). On retiendra essentiellement la performance de Dussolier très investi dans son personnage de père honnête, et bien sûr le Vincent Cassel, malgré la profondeur très relative de ce personnage. Car c’est probablement là que La Belle et la Bête se révèle le plus décevant : en allant trop vite, il gâche beaucoup les sentiments des personnages, et prétend faire naître l’amour alors qu’on ne le voit éclore à aucun moment… Que la bête ait un cœur tout mou et qu’il soit prêt à s’attacher à la première jouvencelle de passage, passe encore, mais que Belle, hautaine et méprisante, prétende qu’elle l’aime après seulement une petite semaine… On se fout un peu de ma gueule, là… Le Disney faisait bien mieux en moins de temps… Peu importe les détails sensés étoffer les personnages (le papa négocient et ses petites affaires, Perducas le bandit remplace Gaston le chasseur…), le schéma suivi est trop simple, et surtout beaucoup trop expédié, comme si l’amour de pacotille promis n’avait autant de valeur que celle des joyaux que la Bête sort par pelle de ses coffres. Si des efforts notables ont été fait autour de la Bête et de sa malédiction (permettant d’orchestrer de magnifiques scènes de flash back et de faire apparaître ces merveilleuses lucioles), le romantisme ne convainc pas un seul instant le spectateur, pas plus que le cabotinage d’Eduardo Noriega qui semble avoir bien du mal à retrouver un rôle à la mesure de son talent. Et beaucoup d’idées semblent avoir été avortées, ou conclues à la va vite (seul un cheval connaît la route pour le château, or Belle murmure qu’elle veut y retourner et pouf miracle, la forêt la guide). Le destin de Perducas en est une autre preuve tout aussi criante, même si je ne spoilerai pas. Enfin, les effets spéciaux arrivent un peu sans qu’on les attende, malgré leur finition assez majestueuse. Les géants de pierre sont très beau, oui… Mais était-ce bien nécessaire ? De même que ces lianes numériques reprenant les mouvements des barbelés du final de Silent Hill ? Il semble que les idées n’ont pas manquées, mais que personne n’a su faire le tri…

Pour conclure, on dira que la fin manque sacrément… de panache. Oui, c’est cela, la fin n’a vraiment pas la classe, balançant par la fenêtre le cadre idyllique de la vie de château pour le pavillon de banlieue potager, où le grand prince apprend à planter des pommes de terre pendant que Belle lit des histoires aux nenfants dans un tablier rose bonbon. Voir un tel dénouement, de la part de monsieur Christophe Gans, c’est quand même refroidissant. Genre c’est la retraite, tous à la campagne, dans le Gers ! Les versions précédentes appelaient à un peu plus de prestige, quand même… Enfin bon, on prend une claque visuelle avec ce kitsch éblouissant (un des plus beaux exemplaires de ces dernières années), donc on veut être gentil en disant que sur la forme, le Christophe et son équipe (on doit la bête à Patrick Tatopoulos, pour ceux qui se demandaient ce qu’il avait pu faire depuis Underworld 3…) ont fait un sacré boulot. Dommage que le reste laisse à désirer surtout question sentiments, ça ne pardonne pas…
Voracinéphile
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le 13 févr. 2014

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Voracinéphile

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