La Bergère et le Ramoneur
7.9
La Bergère et le Ramoneur

Long-métrage d'animation de Paul Grimault (1953)

Entre tentative artistique et cupide charcutage ignoble

Il fut un temps où il existait un studio d'animation nommé Les Gémeaux où, bien que ce fut Paul Grimault et Jacques Prévers qui le créèrent, un producteur nommé André Sarrut y était très influent. Avide de fric, l'homme ne supportait pas le perfectionnisme de Paul Grimault et Jacques Prévert sur l'adaptation d'un conte d'Andersen nommé La Bergère et le Ramoneur et vira ces derniers du projet cinématographique éponyme. Il décida, alors, de terminer le film à-la-vite que les auteurs originaux renièrent avec fureur.

Ce qui est bien plus que compréhensible. En effet, à sa sortie, le film a été jugé comme étant l'oeuvre d'un producteur cupide et prétentieux ayant voulu faire de l'art sans en comprendre ce qui en fait la vraie saveur. Ce qui poussa la presse à le descendre de manière jouissive;

"Voici comment m.Sarrut s'y est pris pour défigurer La Bergère et le Ramoneur", "Le mauvais goût et la bêtise" ou encore "On a ramoné la bergère" disaient les critiques lors de la sortie du film jugeant ce dernier médiocre et exécrable. Le film fit un gros flop, ce qui contraignit Sarrut à démissionner et, par conséquent, Les Gémeaux à mettre la clé sous la porte.

Affaire connue du reviewer La Séance de Marty, grand fan du film Le Roi et l'Oiseau qui alla jusqu'à dire "Et ça André Sarrut, c'est bien fait pour ta gueule!"

Oula! Cela signifie-t-il pour autant que La Bergère et le Ramoneur est véritablement une immonde daube massacrant l'oeuvre éponyme du célèbre conteur Andersen et souillant les intentions d'un auteur talentueux? Et bien, c'est plus compliqué que ça.

Oui, il est TRES clair que La Bergère et le Ramoneur est bien en-dessous de ce qui fut plus tard Le Roi et l'Oiseau mais pas parce que La Bergère et le Ramoneur est une daube tandis que Le Roi et l'Oiseau est un chef d'oeuvre.

La vraie différence entre eux est que le premier film est un conte romantique gentillet tandis que le deuxième est une violente critique des dictatures.

Conte romantique gentillet qui inspira un étudiant d'animation qui devint le géant de l'animation japonaise, Hayao Miyazaki, en fondant les Studios Ghibli puisqu'on retrouve dans les oeuvres du célèbre réalisateur japonais un minimalisme, des ascenseurs et des trappes à répétition rappelant ceux de Grimault dans Le Château de Cagliostro ou encore Le Château Ambulant. Aspects qui furent à peu près les seuls éléments d'origine fidèles à Paul Grimault dans La Bergère et le Ramoneur en plus de certains plans de Grimault et Prévert achevés avant d'être virés comme des malpropres.

Le film en lui-même est, en partie, visuellement beau mêlant le minimalisme des court-métrages d'animation de Paul Grimault tels que Le voleur de paratonerrre ou encore la beauté colorée de Le Petit Soldat. Sans doute s'agit-t-il de séquences créées quand Paul Grimault était encore aux commandes du projet.

En ce qui concerne la musique, la BO de Joseph Kosma n'est pas mémorable: elle fait un travail d'ambiance correct mais est bien sans bien plus loin de ce qui fut, par la suite, la majestueuse BO de Wojciech Kilar dans Le Roi et l'Oiseau. Toutefois, certains jolis passages musicaux se démarquant du reste de la BO d'origine furent conservés dans Le Roi et l'Oiseau: la chanson des oiseaux, la berceuse de l'Oiseau, la chanson entendue dans l'appartement secret du Roi et celle du chanteur en gondole.

Par contre, niveau sons et bruitages, c'est une catastrophe atomique. Quand quelqu'un marche ou court, on entend aucun de bruit de pas, les rugissements des lions ressemblent à des grincements de dents de chats. Et parfois, ils sont si bas que soit on les distingue à peine de la musique, soit on les entends trop furtivement dans les scènes silencieuse. En bref, c'est ce qu'on appelle une bande-son gérée avec le...

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Pire encore, le robot est une abomination: là où il fut majestueux et imposant dans Le Roi et l'Oiseau, dans La Bergère et le Ramoneur, il ressemble à une immense patate grise avec des membres et une tête trop fins pour sa silhouette plus large que longue. Sans compter le fait que, parfois, il court dans des décors sans arrière-plan; ce qui montre bien que Sarrut était si pressé de finir le film qu'il en a négligé beaucoup de parties.

En parlant de "pressé", le film va BEAUCOUP trop vite. Tout se déroule d'une traite sans qu'on ait le temps de souffler. Des scènes s'enchainent avec des transitions fluides aux abonnés absents. Sans compter le fait que certaines séquences sont atrocement moches; probablement des séquences "créées" par Sarrut seul après avoir viré Grimault et Prévert.

En parlant de ces trois-là, là où Grimault et Prévert voulaient baptiser le film d'après les personnages du Roi et de l'Oiseau qui devaient occuper la plus grande partie du film, faire de Takicardie un royaume morne, austère, vide de vie mais immense et contemplatif dans une architecture massive, Sarrut choisit de mettre la bergère et le ramoneur au premier plan, de réduire l'Oiseau à un rôle d'adjuvant, de faire du Roi un antagoniste certes dominant mais se limitant à juste être le rival du ramoneur loin du souverain terrifiant et glacial imaginé à la base et de réduire Takicardie à quelques décors nécessaires uniquement pour le scénario et pas pour créer une réelle ambiance. Idem pour la Ville Basse réduite à son strict minimum uniquement mise en place pour les scènes importantes sans, encore une fois, qu'aucune vraie ambiance ne soit mise en place.

Et pour continuer à parler des différences entre La Bergère et le Ramoneur et ce qui fut plus tard Le Roi et l'Oiseau , la fin imaginée par les auteurs originaux fut jetée aux orties. En effet, au lieu de la magnifique scène finale avec une fin incertaine pour tous les personnages et la destruction du dernier piège de Takicardie par le robot assis en position Le Penseur de Rodin, nous avons droit à une fin basique avec une petite ville construite par les habitants de la Ville Basse à côté des ruines de Takicardie et un mariage du héros et de l'héroïne dignes des contes de fées mignons tout pleins (alors que la plupart des contes d'Andersen finissent en tragédies ou en fins en demi-teinte comme le conte original La Bergère et le Ramoneur) pour faire un traditionnel happy-end digne des films Disney alors que Les Gémeaux s'étaient démarqués pour ne pas être comme eux jusqu'à ce film-brouillon.

Bref, on sent bien le film-brouillon aux allures d'oeuvre inachevée laissant le spectateur sur sa faim. Toutefois, on sent bien que les efforts étaient là malgré une production chaotique et que, si on arrive à regarder La Bergère et le Ramoneur indépendamment du chef-d'oeuvre Le Roi et l'Oiseau, il reste un joli conte romantique divertissant et agréable.

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le 24 juin 2022

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BlackBoomerang

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