L’empire romain à l’épreuve des successions

Alors que son réalisateur Ridley Scott annonçait, il y a deux semaines maintenant, la mise en chantier prochaine d’une suite à son célèbre Gladiator – un projet en réalité maintes fois évoqué et remanié depuis 2001 mais qui semble aujourd’hui se concrétiser pour de bon –, coup de projecteur sur un autre péplum hollywoodien, tout aussi fameux que celui porté par Russell Crowe et qui en fut en fait l’une des principales sources d’inspiration : je veux bien sûr parler de La Chute de l'Empire romain d'Anthony Mann.


Sorti en mars 1964 aux Etats-Unis puis le mois suivant en France, The Fall of the Roman Empire (dans son titre original) marque la quatrième et dernière incursion de son réalisateur dans le genre du péplum : réalisateur de seconde équipe sur le Quo Vadis de Mervyn LeRoy en 1951, Anthony Mann se voit confier huit ans plus tard la mise en scène de Spartacus, avant d’en être remercié après quelques jours seulement (ce sera finalement un certain Stanley Kubrick qui récupèrera le film). Qu’à cela ne tienne : Mann enchaîne dès 1961 avec Le Cid – un succès critique et public – puis dans la foulée avec cette Chute de l'Empire romain.


S’ouvrant en l’an 180 après Jésus-Christ, pour se conclure quelques années plus tard, le film ne décrit en fait pas – contrairement à ce que son titre peut laisser entendre – l’effondrement définitif de l’Empire romain d’Occident (qui interviendra plutôt trois siècles plus tard), mais bien l’amorce de la chute « morale » supposée de cet empire, à savoir la transition entre l’empereur Marc Aurèle et son fils Commode – une crise qui prendra ensuite toute son ampleur à la mort de ce dernier, qui verra alors Rome « se trahir » en faisant du pouvoir l’enjeu de l’intrigue et de la violence. Une trahison fatale pour Rome, qui permettra plus tard aux barbares d’en venir à bout.


Marc Aurèle (interprété ici par Sir Alec Guinness), empereur régnant au début du film, est un homme vieillissant et malade. A la tête d’un empire alors à son apogée, et en pleine campagne contre les peuplades germaniques à la frontière du Danube, l’homme se sait à l’hiver de sa vie. Aussi songe-t-il naturellement à sa succession – pour le moins lourde d’enjeux. Mais, plutôt que son fils Commode – pourtant son héritier le plus évident –, et malgré tout l’amour qu’il peut bien lui porter, Marc Aurèle souhaite plutôt confier les rênes de l’empire à son meilleur général, Gaius Livius (Stephen Boyd).


Ce dernier ne s’avère pour sa part guère enthousiaste à l’idée de monter sur le trône, se considérant d’une part comme illégitime – ne connaissant pour l’heure que les méthodes guerrières – et s’avérant d’autre part très ennuyé à l’idée de priver de son destin Commode, qu’il considère comme son frère. Il accepte toutefois de réfléchir à cette proposition, devant l’insistance son empereur. Mais alors que Marc Aurèle prend la décision d’annoncer sans plus tarder le choix de son successeur et de présenter Livius comme tel à tous les chefs de l’empire, il est lâchement assassiné par des généraux conspirateurs.


Bravant la dernière volonté de son père, Commode (interprété par un Christopher Plummer parfaitement détestable et inquiétant) finit pourtant par lui succéder, ceci au grand désarroi de sa sœur, Lucilla – par ailleurs amoureuse de Livius. Ce dernier, qui a accepté de laisser le titre de César à un Commode avide de pouvoir, pensait-il sauver ainsi leur profonde amitié ? Hélas… Quelque chose s’est à jamais brisé entre les deux hommes, dont les divergences politiques/idéologiques vont les amener à s’affronter à plusieurs reprises. Par les mots… mais aussi par les armes.


Une confrontation qui s’étendra sur plusieurs années, dans ce film-fleuve de trois heures aux moyens pour l’époque assez colossaux (quoique sans commune mesure avec ceux de l’autre péplum hollywoodien sorti quelques mois plus tôt, le fameux Cléopâtre de Mankiewicz – pour le coup l’un des films les plus chers de l’Histoire). La Chute de l'Empire romain est en effet, derrière son classicisme apparent, une fresque d’une ambition réjouissante : outre sa distribution bardée de vedettes (citons, en plus des trois acteurs déjà évoqués plus haut, Sophia Loren en Lucilla et James Mason en Timonides – respectivement fille et adjoint de Marc Aurèle), le film met en scène à plusieurs reprises des décors riches de plusieurs centaines de figurants en costume. Et quels costumes ! Et quels décors ! Les décorateurs ont notamment reconstitué pour ce film le Forum de Rome (Forum Romanum), pour ce qui fut alors le plus grand décor jamais bâti pour le cinéma.


Tout en mettant ainsi à l’honneur le faste de cet Empire romain aux portes de sa chute, le film propose en sus quelques belles séquence de batailles, contre différents ennemis, mais aussi une très sympathique course de chars – aux contours pas vraiment homologués – entre les deux frères ennemis puis, plus tard, un duel en plein cœur de Rome et ses habitants, les deux adversaires entourés d’un mur de scuta (les boucliers des légionnaires romains).


Précisons au passage que, si le film se propose de répondre à ce qu’il présente comme l’« un des deux grands problèmes que l’Histoire s’est posés » – à savoir la chute de Rome (l’autre étant son ascension) –, il s’autorise néanmoins d’importantes libertés avec ladite Histoire… à commencer par le sort réservé à ses deux personnages d’empereurs. Si la mort du premier – Marc Aurèle – reste aujourd’hui encore mystérieuse (maladie ? empoisonnement ?) et doit pouvoir s’accommoder de sa représentation faite ici, celle du second – Commode – diffère en revanche complètement entre la réalité historique et les événements de ce film : pas plus qu’il n’a été tué en duel au cœur du Colisée par un certain Maximus, Commode n’a été tué dans les circonstances (tout aussi excitantes) présentées ici. Un constat qui n’est aucun cas un reproche, mais plutôt un avertissement à l’adresse du lecteur féru de la période historique en question.


Reste que cette ambitieuse Chute de l'Empire romain fut un terrible échec en salles à sa sortie (ne rapportant qu’un dixième de son important budget) et contribua bien malgré elle au déclin du péplum à Hollywood – ou devrait-on dire à la chute du péplum dans l’empire hollywoodien ? Un genre qui ne regagnera en tout cas les faveurs du public que trois décennies plus tard avec… Gladiator ! La boucle est bouclée.

ServalReturns
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le 18 oct. 2021

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