De Smash Palace (1981), je me rappelle cette scène où Al et Jacqui se disputent, au milieu d’un plan moyen qui recule jusqu’à inclure, en amorce droite du cadre, une étagère, anodine dans le décor domestique exploité jusque-là. Seulement, Jacqui s’empare d’un petit trophée posé dessus, parmi d’autres. Et Al s’inquiète, lui demande de ne pas le jeter, il compte pour lui. Un corps signifiant (celui de Jacqui) vient de faire basculer un corps insignifiant, un objet quelconque du décor, du côté de l’importance narrative, depuis l’abîme matériel de détails et de désintérêt dans lequel ce dernier se tenait anonymement. Le trouble que j’analyse en moi, au contact de ce geste, de cette épreuve des couches matérielles de l’image, c’est une petite leçon sur les limites de notre système filmique dominant, et particulièrement de ce qu’il nous rapporte des corps et des objets qui cohabitent dans le cadre. Il y aurait, comme ça, des corps ou des objets de première importance, élus par le cheminement vectoriel de la fiction, ceux des personnages bien sûr (encore que, à bien différencier des figurants, dont le corps est insignifiant), et les artefacts dont ils s’emparent - qu’ils chargent d’un degré de conséquence factice, proprement virtuel (telle clef permettra d’ouvrir telle porte, tel pistolet permettra d’éliminer un opposant quand tout semblera perdu pour le héros) - et puis, au fond, « sur fond de… », l’environnement matériel dans lequel ces derniers se posent, sinon interchangeable au moins support, caution, cache-studio, cache-technique, cache-coulisse : une couleur, un horizon de fiction, mais bien inutile, puisque les personnages, les instances « sensori-motrices » qui rapportent leur propre expérience du réel filmique au spectateur, n’ont aucune interaction désintéressée avec les objets qui le compose, l’espace qu’il ouvre, la texture et la sensibilité dont il se dote. J’ajoute à cela que le postulat d’une « signifiance », d’une qualité de signe attribuée à tel objet, tel corps, plutôt qu’à tel autre, relève d’une partition bien audacieuse des intérêts prêtés au spectateur, et d’une méfiance à l’égard du chaos supposé du réel. Dans le film de Roger Donaldson, une transgression de cette hiérarchie matérielle, parmi d’autres, ouvre mes yeux. Dans Pather Panchali, elle n’est même plus une transgression, elle est un paramètre physique du film, en continu. Elle redétermine l’acuité de mon regard, et la lecture des images que ce dernier file.

La demeure familiale où Harihar, le père de famille, a décidé d’emménager pour perpétuer l’héritage d’une présence historique, constitue le coeur physique et dramatique du récit. On y pénètre dès la première scène du film depuis la forêt que traverse, craintive, Durga, un fruit à la main (ou plutôt dissimulé dans son châle). Une fois entrée, elle y accomplit deux gestes singuliers : elle dépose le fruit dans un plat couvert, qu’elle ouvre alors pour dévoiler un régime de bananes, et, de l’autre côté de la cour, dans un vase beaucoup plus gros, sort à bout de bras trois chatons pour lesquels elle a préparé un bol d’eau (ou de lait), qu’elle vient de remplir à la cruche. À la mesure d’une scène, nous prenons une connaissance active, élancée, du contenu de trois récipients différant en taille, en matière et en usage. Ils se démultiplieront localement dans le film : la boite à jouets, coffre au trésor de Durga, le panier à vaisselle de Sarbajaya, les deux grandes cloches à confiseries du marchand de bonbon ambulant, ou encore le sceau d’eau suspendu au-dessus du puit. Sans fioritures haptiques, Pather Panchali détaille méthodiquement (liturgiquement ?) la profondeur échelonnée de la demeure, depuis sa porte en bois rabotée jusqu’au fond de ses pots, selon un parcours plein d’une quotidienneté tantôt ludique, tantôt extatique, à hauteur d’enfant, à hauteur d’un observateur assis. Cette vigilance active, interactive, forge le paradigme du contenu, stipulant au regard que chaque cruche, chaque bol, chaque flacon, panier ou boite contient quelque chose. Ce paradigme n’est ni symbolique ni sémantique : il détermine seulement les paramètres physiques du film, calibre la sensibilité matérielle, plastique et descriptive du regard rapporteur.  

Ce phénomène de contenance me rend sensible, dans son acception plus large, à celui de l’enfouissement, de la dissimulation et de la consubstantialité des matières qui s’opère à d’autres endroits du film : telle femme, telle mère, telle voisine sort ses roupies de son châle (donc de son propre vêtement) enroulé en cordon. Là, un objet métallique s’intègre et se désintègre du tissu, comme la mélasse se confond aux doigts et à la bouche de l’enfant, depuis le bol qui la contient jusqu’au visage de ce dernier, dans la proximité chromatique (colorimétrique) totale et contingente que le noir et blanc définit. Cependant, ne nous y trompons pas : Pather Panchali n’offre pas la « fête de la matière » que prise un oeil trop accoutumé aux séquences cinématographiques relevant du mode de représentation institutionnel (où la concaténation des gestes en image s’abstrait jusqu’au signe de l’action seulement, et efface les oripeaux de sa situation matérielle, physique). Corps humains et objets, substances composant leur environnement, cohabitent dans une correspondance formelle égale à celle que prodigue la réalité. Ce paramètre physique défini plus haut, cet échelonnage de la sensibilité matérielle filmique, ne produit certes pas un sens supérieur (non seulement) mais en plus ne se démarque pas en moments forts, en morceaux de bravoure technique et mimétique. Voilà un climat de réalité, simplement. Voilà un régime, une gamme d’images. Ainsi, tel personnage, le plus souvent féminin, se dévoile de bas en haut dans un petit panoramique individuant, par le geste domestique, de l’assiette, la balance ou l’ouvrage, au visage penché, à l’air affairé. C’est à dire que le film joue grammaticalement, en réalité, le jeu des rapports gestués entre le corps domestique et ses outils. Suit leur rythme sûr, observe leur hiérarchie implicite, fondue. Les personnages restent des personnages, vecteurs de modification du récit, et les objets inanimés des objets inanimés. Seulement, l’usage de ces derniers ne procède pas d’une exception muette et tactile au milieu d’un réseaux d’actes aux résonances dramaturgiques, oraux, vocaux, virtuels. Ils peuplent le récit, structurent son contenu matériel (c’est à dire son tout).

À égale importance, égale prégnance que le phénomène de contenance accusée, dévoilée et suspectée à chaque récipient vu par la suite, je note enfin que l’orifice, la percée, le trou ouvrent et achèvent simultanément le contenant (au sens large) dont ils sont la bouche. D’un côté ou de l’autre du trou se capte une apparition : l’apparition de celle qui hisse hors du trou, de la percée, ou de celui qui en sort. L’apparition de Durga encerclée, vignettée dans le rond de jour à l’orée du grand vase où elle plonge le bras pour agripper les chatons (elle est filmée depuis l’intérieur, du point de vue des chatons), l’apparition d’Apu par le petit trou du linceul en toile épaisse sous lequel il se dissimule, et duquel Durga semble le faire naitre à nouveau, le faire advenir à la vie avant de lui enseigner les astuces de la gourmandise, du chapardage, de la curiosité et de l’espièglerie. L’apparition, invisible, irraportable, des images du Taj Mahal et autres merveilles lointaines, par les petites fenêtres de la boite à spectacle inanimé, à peine mis en relief, que propose le bioscope du forain. Ou encore l’apparition, la disparition et le jeu scénique de course-poursuite entre le trou du mur qui ceint la maison familiale et la porte : la poursuite joueuse du petit frère par la grande soeur, l’exclusion de la fille par la mère, autant de gestes et d’humeurs, ceints non pas au montage mais dans le cadre même de l’image pour épaissir, saisir et concentrer la relation des corps familiers, à travers les interstices explicites de la précarité (les réparations sont trop onéreuses). Entre deux voiles étendues sur un fil, Sarbajaya aperçoit Apu faisant signe à sa soeur, postée à un autre orifice mural, de prendre la fuite : on la cherche pour le vol du collier. De percée en percée, entre les blocs de matière, les regards se suivent. Au total, la maison trouée et crevassée d’une famille pauvre semble plus propice au récit que celle, murée et close, d’une famille riche (les voisins dont la mère est une avare, une calculatrice), parce que celui-ci s’infiltre dans tous les pores domestiques de ce qui, à l’écran, devient un surcadrage, une structure accidentelle du regard.

À ce stade de mon enquête, j’en arrive à reprendre un constat similaire à celui que me fit faire L’Image manquante, de Samir Ardjoum, au sujet duquel j’avais écrit : « Qu’est-ce donc qui fait récit ? Ce qu’on encadre, qu’on extrait, qu’on sélectionne dans l’espace et dans la durée : le contenu accidentel d’une ouverture, aux bords de laquelle seulement il prend un sens. ». Mais nous savons que Pather Panchali développe une sensibilité matérielle pour l’environnement qu’il investit, c’est à dire qu’il fait investir par un certain nombre de personnages précisément pris dans leur milieux (désireux, en somme, de le transformer ou de le quitter), et qu’il articule ce rapport par le geste. Alors, donc, le trou ne dit pas tout, et le récit ne se fait pas seulement de temps et d’espace attrapés, encadrés, empilés. Au total, d’ailleurs, le dire ne compte pas, ni toutes les possibilités de progression - la tentation d’une évolution, d’un raisonnement, d’un cheminement - l’ensemble des processus de gain dont le logos (ou autre système d’abstraction, de dédoublement du réel) attise le désir. Tirer la langue compte. Danser sous la pluie, arroser un arbrisseau, regarder le train passer, se cacher dans les bois. Compte, oui, et se répète. Va et vient entre tel verger, tel pré, et la maison, indéfiniment. Pather Panchali touche même du doigt, lorsqu’il fait affleurer plus évidemment un geste à la surface de la matière (et ça n’est pas rare), le maniérisme, surprenant parmi l’exactitude de toutes les expressions faciales et manuelles au milieu desquelles il s’insère un instant. Je pense particulièrement aux deux regards de Durga et d’Apu, se déportant lentement vers le hors-champ à gauche du cadre, après avoir entendu un bruit étrange au loin et comme pour en identifier la source. Moins que des trucs du cinéma de genre, des instincts de la mise en scène ultra-signifiante, lisible et stylisée, ce geste incarne une conception classique de la merveille des contes, et perpétue dans un médium désormais affuté pour cerner, découper la vie en surface du visage humain, la tradition narrative orale des moments de pose, de silence, d’attente et de mystère qui précèdent une envie d’aventure (de concevoir plus largement, plus justement l’amplitude du monde réel) : le texte ne compte plus, c’est l’image qui le déloge, occupe une place qui ne recoupe pas le même endroit du récit.

Je note d’ailleurs la déliaison discrète des causes matérielles du geste, du conflit dramatique, d’avec leurs effets. Du verger de la voisine, on ne connait que les fruits que Durga chaparde, mais on ne l’y a jamais vu commettre l’acte - de même pour le collier qu’elle vole à Tunu, dont on doute jusqu’à la fin qu’elle le lui ai jamais volé. À côté de Durga, sa mère Sarbajaya efface le système comptable des dettes et des remboursements, des achats et des manques, au centre duquel elle se pose verbalement, signalant pourtant chaque présence indésirée dans sa cuisine, chaque lacune, chaque honte, chaque besoin : les gestes qu’elle produit de façon emblématique, précisément à la façade de sa demeure où elle est assise, sont la préparation des repas, du riz qu’elle rince et qu’elle bout, du poisson qu’elle coupe, des mains qu’elle lave à l’eau, et lors de la mousson, le tissu trempé de la fenêtre qu’elle raccroche au mur, la porte ouverte en fracas par le vent, et qu’elle barricade. À l’exception de la vaisselle qu’elle troque (sans que l’on assiste au troc d'ailleurs) contre un sac de riz, aucun geste enregistré dans la matière, dans les manques et les envies que cette dernière polarise, ne se compte d’une manière continue, conséquente, et suivie. Mais le comportement de ces trois personnages, Sarbajaya, Durga et Apu, procède justement d’un attachement sensoriel à la matière telle qu’elle se manifeste, pétrie de sentiments ; c’est seulement qu’à cet endroit affectif des situations de désir ou de rejet entre les corps, le calcul n’a plus cours. Pather Panchali se démet d’une qualité discursive organique et de même, donc, d’une rigueur banquière qui rapporterait les objets comme des chiffres.

Enfin, quelques coïncidences ou accidents stylistiques semés çà et là en apparence, au gré des errances d’Apu et Durga, parfont l’ambiguïté pratique, le frottement, la bizarrerie qui hante et point dans l’artisanat de Pather Panchali. Le film ne laisse jamais vraiment croire à son contrôle jusqu’au glissement, à la désynchronisation du montage, et particulièrement du montage son. Je pense au mutisme, ou plutôt à la surdité de telle séquence, fin de séquence souvent, morceau de dialogue, par exemple lorsque Sarbajaya allongée pleure la mort de Durga aux genoux de son époux qui retourne de la ville après plusieurs mois d’absence. On ne l’entend plus pleurer, mais on la voit faire. Soit que la musique couvre tout, soit rien. Ce qui pourrait n’être qu’un effet des limites de l’enregistrement sonore en post-synchronisation se donne ainsi : le son s’absente, non pas comme langage annulé (selon ce que j’ai pu dire sur le rôle, insignifiant souvent, de la parole) mais comme matière parmi d’autres du système audio-visuel, rendue sensible dès lors qu’elle se décroche. Petites coutures du processus de fabrication filmique qui se montrent. Les séquences de confrontation physique, de brimade violente, comme celle de Sarbajaya avec Durga, montrent elles-aussi les stigmates de la disharmonie. Je pense à la saisie de la cravache par le maitre d’école (qui tient son commerce, sa boutique, en même temps) : après avoir repéré que deux élèves jouaient au morpion sans suivre la dictée, en se passant une ardoise et une craie, il s’empare d’une tige en bois posé dans un bac de riz, selon l’insert très bref en gros plan sur une main qui saisit la tige, puis, dans un plan moyen découpé en deux par un raccord en jump cut, ne tient pas puis tient « tout à coup » ce fouet de fortune, comme par une invraisemblance télékinétique, un truc à la Méliès (l’incohérence est double ici puisqu’il saisit, n’a pas puis a la tige). Or c’est précisément l’inverse du truc à la Méliès qui s’opère à cet endroit : le film n’enferme pas un monde merveilleux, où les propriétés physiques et temporelles de la vie terrestre disparaitraient au profit d’un système attendu de déformation du réel, de grossissement et de rapetissement, d’apparition et de disparition ; mais il procède en réalité d’une illusion de cohérence physique et temporelle obsédée, imbue de réalité affectée, que reproduisent parfois à grand peine les techniques de montage et de synchronisation, en lesquelles notre croyance file un petit miracle progressif du regard. La merveille filmique laisse voir son épaisseur et se cicatrise en un instant, dans le faux-raccord bondissant du maitre et de son jonc.

À la manière du long regard maniéré se déportant vers la gauche du cadre, Pather Panchali produit d’autres effets de style qui, cette fois-ci, n’ont rien d’accidentel ou de coïncident. Le mutisme, le silence incohérent d’une voix dont on regarde la bouche béante ou formulant des mots, les décrochages du geste violent, laissent place à une étrangeté de la « situation esthétique » cette fois-ci, telle que cette dernière est prise dans un ensemble, dans un tout vraisemblable. En s’approchant des pylônes électriques qui enjambent les prés d’herbes hautes où paissent les vaches, Durga et Apu, se suivant de loin dans un jeu de poursuite complice et faussement lassée, rapportent jusqu’à la bande son du film le bourdonnement électronique ambiant qu’ils entendent. D’abord Durga puis Apu, l’imitant, collent une oreille contre un des pieds métalliques du pylône le plus proche, et le bruit s’intensifie. Or, si ce son est discordant, disharmonieux, inquiétant, il n’en est pas moins musical : deux accords similaires qui se succèdent par à-coups réguliers, et par vibration, irisation magnétique du son, selon un rythme précis. Il accompagne musicalement, comme une musique de fosse, l’errance lente et surréelle de la soeur et de son petit frère, intensifie (ou même signifie) l’étrangeté de la scène (la rencontre, au coeur d’un havre rural, d’une frontier indienne, avec une infrastructure moderne énigmatique, outrancièrement inutile et monumentale à la fois, squelettique et infinie…), confondant ainsi la nature et la fonction du son-écran avec celles de la bande sonore extradiégétique non seulement, mais aussi la possibilité des personnages à la rapporter en qualités différemment grandes (le volume qui augmente lorsque l’oreille se colle à la source sonore) au gré de leur position dans l’espace dramaturgique (comprendre : leur position de rapporteurs des sens et des stimuli de l’univers où on les suit). Lorsqu’Apu et ses parents quittent pour de bon leur maison ruinée afin de s’installer en ville, on y reste quelques instants, seuls, le temps de trois plans : un d’ensemble sur la cour de la maison, un chien errant dort au pied du puit, puis un sur un muret où passe un morceau de serpent, en gros plan mutilant, enfin un dernier sur l’entrée du serpent dans la maison. Aucun personnage n’est là pour nous rapporter cette expérience visible. Seul l’esprit de la maison, l’écho des présences qui s’y fixèrent, nous y laisse encore un peu. Ou alors, c’est le serpent lui-même, le personnage. Non pas le symbole d’une déité sauvage qui investirait la maison, avec un retard cruel, des dons de fertilité et d’abondance, mais le personnage du hasard, présent au film parce qu’il était présent « sur le plateau » de plein air, et sans avoir nécessité aucun casting. Pather Panchali l’accueille, le recueille peut-être comme un hommage au réel, mais le garde comme une ouverture déstabilisante, étrange, du système de « point de vue » érigé classiquement jusque-là.

Au total, cette identification pratique de la matière et du geste, ces légers accents lyriques, ces décrochages de l’artisanat filmique tantôt accidentels, tantôt intentionnels, recomposent la manière dont l’image se lit, et réajustent ce que j’appelais plus haut le petit miracle du regard, qui se file et se solidifie tout au long d’une vie de spectateur. J’en veux pour preuve une image parmi tant d’autres, dans Pather Panchali. Après avoir vu passer le marchand de bonbon près de leur maison, portant deux grands plats clos d’un bout à l’autre de son bâton, et sans avoir pu lui acheter quoi que ce soit (au refus de leur mère), Durga et Apu s’aperçoivent naturellement que ce dernier dirige sa course vers la maison de leurs voisins, bien plus aisés, et dont les enfants pourront sans doute partager les confiseries achetées. En un même plan, Apu rapporte à sa soeur le refus maternel (qu’elle avait, bien sûr, deviné), celle-ci propose de suivre le marchand ambulant jusqu’à chez Tunu, et tous les deux s’en vont en courant à sa poursuite, suivis de près par le chien qui se dresse aussitôt qu’il les voit s’animer. Là où une mise en scène classique, lisible, dominante, aurait mis la petite emphase épique des films d’enfants et pour enfants sur ce geste emblématique et spectaculaire de la « mise en course », prenant soin de détailler en plans moyens successifs l’effet « domino » d’un départ sur un autre - d’abord celui de Durga, puis celui d’Apu, en enfin celui, comique, du chien - ici, tout passe en un seul plan. C’est à peine si l’on se rend compte du départ du chien aussi, tant le mouvement général du plan incruste ses actes (les trois définis plus haut) dans une continuité, une durée même, matériellement intéressée. Tout repose sur la présence de l’argent, de l’endroit où il n’y en a pas assez à l’endroit où il y en a. Loin du film classique, d’enfants et pour enfants. Le film garde d’ailleurs la légèreté guillerette, la petite excitation juvénile et ludique du départ « vers le gain », quel qu’il fut, trésor ou bonbon, en amorçant un air musical enjoué dès que la course commence. Mais le plaisir du sucre n’apaise pas la violence de classe, de caste, qui se produit lorsque la maman de Tunu paye pour tout ce que ses filles et ses fils lui demandent, devant l’étalage des confiseries, puis ordonne à ses enfants de ne pas partager avec Durga et Apu, parce que ces derniers leur en demandent trop souvent. 

Thecaptaincactus
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le 27 oct. 2022

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