Un film historique sur le nazisme (ou son plus grand crime en particulier), qui doit être Le sujet historique le plus traité dans celle du cinéma, et en plus Allemand (qui en je ne sais combien de dizaines de tentatives de traiter de leur passé n'ont pas réussi à produire grand chose d'autre que La Chute de mémorable sur le sujet), et l'abordant à travers la verbosité d'une reconstitution de conférence, autant dire que La Conférence partait avec un sérieux handicap pour ce qui est de me donner envie de le visionner. Le genre de film dont on lance la lecture en se disant "on sait jamais je vais peut-être trouver le courage de le regarder jusqu'au bout"... Mais dont on sort à la fois surpris de l'avoir trouvé, mais sans plus faire de courage un synonyme de patience.

Malgré son coté on ne peut plus austère de huis clos sans grand effort de mise en scène pour s'éloigner d'un total classicisme, la Conférence est en effet avant tout un film intéressant sur cette catégorie d'être humains (enfin au sens biologique du terme, comme ils diraient eux-mêmes) qu'étaient les nazis, dont le cadre fait les seuls personnages du film, chacun en illustrant une variété, de l'idéologue aux yeux brillants de fanatisme, au presque désolé que l'Histoire lui ait confié un rôle ingrat mais tout de même fier de son montrer à la hauteur, en passant par les pragmatiques ne se souciant que de faisabilité, les carriéristes civils ou militaires dont on sent qu'ils auraient pu tout aussi bien être communistes ou même démocrates et antiracistes si c'était la zeitgest du moment, les barons craignant que sous prétexte de solution finale on rogne les prérogatives de leurs ministères ou gouvernorats, ce qui serait vraiment criminel, même le sensible qui masque mal que par moments il doit se dire parfois que ce n'est pas totalement sain d'exterminer des gens (pensez au traumatisme pour nos jeunes soldats, est ce que ce travail ne risque pas de les rendre un peu cruels ?).

Entre tous ces hommes (et l'unique femme qui apparaisse dans le film, une secrétaire prenant consciencieusement note des débats, à laquelle certains témoignent de touchantes attentions, comme lui demander si leur sujet n'est pas un peu rude pour elle, ce à quoi elle répondra en se félicitant du cadre et de la bonne ambiance qui règne en ces lieux), on ne voit finalement émerger qu'un point commun, le coté profondément bourgeois de leur comportement, éminemment soucieux des formes et manières, exagérément civilisé, Des hommes ne manquant jamais d'étaler leur culture (même le représentant des groupes spéciaux menant déjà l'extermination dans les pays baltes, y ira à la pause thé et cigarette, de sa petite citation de poésie classique allemande, aux félicitations de l'assemblée, le reconnaissant digne de leur parterre d'hommes bien nés ou en jouant le rôle). Ils se montrent obséquieux avec leurs supérieurs, plein d'attention noblesse oblige envers leur subalternes, s'entre-applaudissent même entre rivaux en tapotant la table. Des modèles à deux ou trois exceptions près (qui se le font vite reprocher s'ils coupent une parole ou se montrent un peu rudes) d'une étiquette qui n'a pas changé, des salons des anciens régimes aux raoults des puissants d'aujourd'hui.

C'est une assemblée où chacun a un petit coté Hans Landa (l'officier cultivé joué par Christopher Waltz dans Inglorious Basterds de Tarantino), et comme lui ils expriment le mieux le coté le plus profondément horrible du régime nazi (et avant et après lui de tous les crimes occidentaux, coloniaux en particulier) la civilisation mise au service du meurtre "nécessaire" (ce qui dans les propagandes devient généralement l'inverse).

En dehors de ça, le plus fascinant dans ce film, qui montre donc en gros des dignitaires nazis se réunissant pour décider de la mise en œuvre de la décision (et en plus déjà prise) de faire disparaitre la race juive d'Europe, soit le sujet qu'on puisse imaginer le plus consensuel dans ce genre de cercles, c'est qu'il y a bel et bien des débats.

Une longue série d'objections, qui chaque fois peuvent sonner comme un début de la vraie objection, quand elles commencent à être exprimées, pour s'avérer au final juste techniques, ou destinées à affirmer la place de certains d'entre eux. A chaque fois ils semblent voler des mots qui pourraient presque sortir de la bouche du spectateur, pour ne faire que retomber dans leurs ignominies la fin des argumentaires prononcés. On débattra ainsi longuement de cas particuliers, des situations locales, de celles des quarts et des demis juifs (comment condamner à l'élimination des parents de bons aryens ?), ou encore de ceux s'étant même battus pour le pays, mais pour bien préciser ensuite qu'il ne s'agit que de ne pas susciter l'émotion des toujours sentimentales foules, et en conclure que des méthodes plus douces comme la stérilisation forcée ou la déportation dans le ghetto de luxe de Theresiendstadt sont parfois plus appropriées (dans un nombre strictement délimité de cas, restons raisonnables).

A l'arrivée, s'il n'apprendra pas grand chose à quiconque connaissant l'histoire, sauf quelques points de détails (comme dirait un ex-politicien tristement célèbre), ça s'avère un film bien plus efficace que beaucoup de représentations graphiques de celle ci, pour faire ressentir et l'horreur du nazisme et l'horrible facilité qu'il peut y avoir (en particulier pour les élites) à se mettre au service de ce genre de projets, pour peu que l'air du temps le veuille.

Antonio-Palumbof
8

Créée

le 9 nov. 2023

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