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How the West Was Won, ou comment dérouler une gigantesque fresque sur cinq décennies, par le prisme de cinq thématiques différentes, avec la vision de trois réalisateurs, en suivant une unique famille. Un projet à l’ampleur affichée, qui se pare de décors naturels splendides et a dû être époustouflant lors de sa sortie dans les salles Cinerama. Car oui, outre sa nature de film à sketchs, le film avait pour motif premier de servir de porte-étendard à ce format si particulier.


Pour rappel, il s’agit d’une caméra à trois objectifs permettant de reproduire le champ de vision humain dont on projette les images dans une salle adaptée avec un écran extrêmement large et incurvé comme pour figurer une rétine, au format 2.59:1. Le format a fait ses débuts publics en 1952 et a rapidement été transformé en outil de propagande américaine (Cinerama est d’ailleurs l’anagramme de Americana) lors de la guerre froide, en apparaissant notamment à l’exposition universelle de Bruxelles en 1958. Le hic avec cette expérience immersive, c’est que les réalisateurs se sont vite rendus compte qu’en dehors de documentaires sur les grands espaces, le barda était extrêmement contraignant. Et en matière de cinéma, le grand angle ne permettait pas d’avoir de plans rapprochés ou de zooms, ce qui limite tout de même beaucoup la palette d’outils disponibles lorsque l’on veut faire du cinéma utilisant le langage propre au médium. L’expérience était fantastique pour le public, mais imbuvable pour les artistes, si bien que le format a très rapidement disparu. Il reste aujourd’hui trois salles dans le monde (deux aux USA, une en Angleterre), diffusant des films d’époque pour certaines occasions spéciales. Si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet, je ne peux que vous conseiller le très sympathique documentaire Cinerama Adventure de 2012, disponible entre autres sur le bluray du western dont nous traitons aujourd’hui.

Une telle ambition s’est accompagnée des moyens qui vont avec, le film étant garni de scènes d’actions ahurissantes (surtout pour 1962) : attaque de train, charge de bisons, lutte dans des rapides, cavalcade d’amérindiens… A chaque séquence du film son moment de bravoure. Et à chaque séquence du film sa star mise en avant, le casting étant lui aussi luxueux : James Stewart, Gregory Peck, John Wayne, Henry Fonda, Eli Wallach… Jugez du peu! Pour autant, l'œuvre ne pouvant être vue aujourd’hui dans le format pour lequel elle a été pensée, on se retrouve avec une image parfois distordue, comme un effet fisheye, et la rupture nette entre les trois images filmées en simultané est visible via un bandeau décoloré. Cela rompt l’immersion, certes, mais c’est tout de même admirable que le film ait pu être retravaillé pour être compatible avec les formats actuels. Le cachet visuel est de ce fait assez singulier.


Mais trêve de technicités, et parlons de ce que cela raconte. On ouvre sur de magnifiques paysages américains filmés depuis les airs, vierges de toute présence humaine, alors que Spencer Tracy nous narre ce qui nous attend: nous allons suivre une famille, sur plusieurs générations, qui accompagne l’Histoire américaine dans sa conquête de l’ouest sauvage.


The Rivers:

Nous démarrons donc en 1839, un segment où la vie humaine a peu de valeur et où l’on compense cet état de fait en faisant des gamins à foison. Les processus de drague sont expéditifs :

“_ Tu me trouves belle?

_ Oui.

_ Viens dans ma tante et fais moi un enfant, peu importe que tu aies quarante ans de plus que moi. “

Un côté désuet, mais qui s’explique autant par le contexte de l’époque dépeinte que par le format court de chaque histoire se devant d’aller droit au but.


The Plains:

Nous voici en 1851 à Saint-Louis, en plein Midwest. On entend parler de montagnes d’or en Californie, et notre héroïne tenterait bien sa chance. Elle s’embarque alors dans un convoi en partance vers cet El Dorado en compagnie d’un joueur de poker. Sans doute le segment le plus réjouissant, enchaînant action, chants et comédie dans ce qui rappelle fortement l’album La Caravane de Lucky Luke. La drague est toujours aussi droite au but, mais la protagoniste ne se laisse pas démonter grâce à son caractère bien trempé.


The Civil War:

1861-1865, le pays n’est plus seulement divisé par l’est civilisé et l’ouest indompté mais également par le nord progressiste et le sud traditionaliste. La guerre fait rage tandis que l’on va suivre un jeune fermier de l’Ohio, Zeb, fils du couple formé dans The River, s’engager dans l’Union la fleur au fusil. La désillusion est évidemment de la partie, le lot d’horreurs coutumières des conflits ayant raison de l’innocence du soldat. On en profite pour ancrer plus encore le film dans l’Histoire du continent en intégrant les personnages de Grant et Lincoln. Ce segment, signé John Ford, est sans doute celui avec le moins d’entrain, le plus désabusé quant aux étapes de la construction du pays.


The Railroad:

En 1868, alors que les cendres du conflit intestinal retombent à peine, les grandes compagnies ferroviaires entament une nouvelle guerre. Le butin reviendra au premier qui réussit à joindre les deux côtes par le chemin de fer. Une compétition qui laisse libre cours à tous les excès expansionnistes et cupides d’hommes d’affaires exploitant leur main d'œuvre et reniant tous les accords passés avec les natifs. Et si l’on doit tout décimer sur notre passage, peu importe, la génération actuelle n’en verra pas les effets : “We’ll all be dead by then”. Merci pour nous messieurs. De cette partie découle une scène tout bonnement jamais vue d’un troupeau de bison chargeant à vive allure dans le camp des ouvriers. Brutal.


The Outlaws:

La conclusion se déroule en 1889, alors que l’ouest est enfin dompté. Jesse James et ses pairs sont enterrés, la civilisation a conquis. Sauf que certains n’ont pas accepté ce changement de paradigme, et Eli Wallach et sa bande veulent faire un dernier casse. L’occasion de lancer une ultime scène spectaculaire et d’enterrer à jamais les derniers des desperados. Un adieu à l’aventure du six coups.


En 2h45, le film a balayé les grandes étapes de la construction de l’Amérique moderne, avec ce que ça entraîne d' idéalistes, de morts et de destruction. L’enchaînement des segments m’a rapidement fait penser au fantastique La Jeunesse de Picsou de Don Rosa, tant la construction est similaire. On voyage aux quatre coins du pays en suivant des personnages à travers des vignettes clés, et tous les grands symboles sont présents. Je ne pouvais faire plus beau compliment au film.


Puis arrive l’épilogue, reprenant la caméra aérienne du prologue pour nous montrer des milliers d’hectares de champs industrialisés là où se trouvaient autrefois de paisibles prairies, des tours de verre et d'acier en remplacement de forêts riches, et le fourmillement des voitures à essence sur des pistes transformées en autoroutes… Et on nous dit que l’on a réussi, que l’on a créé un monde meilleur grâce au génie de l’Homme. Le spectateur de 2024, bien conscient que les questionnements de 1962 n’étaient pas les mêmes, ne peut s’empêcher de grincer des dents devant cette ode à la destruction de la planète. Il garde bien en tête que l’on ne peut pas juger une œuvre soixantenaire à l’aune des conceptions sociales actuelles, et se dit qu’il a quand même vécu une sacré aventure.

Créée

le 15 avr. 2024

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Frakkazak

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