En 1990, les partis communistes européens subissent l'effondrement de l'URSS (la chute du mur de Berlin se produit le 9-11-1989). Ils sont déjà devenus des forces minoritaires voire dérisoires dans de nombreux pays (en France, le PCF est déjà depuis huit ans un parti de notables à la dérive) ; la crise identitaire pour ses militants arrive à son maximum. En Italie, le secrétaire Achille Occhetto préconise un tournant, qui se traduira au moins probablement par un changement de nom, éventuellement par une refondation dont l'ampleur est à déterminer (ce sera le remplacement par un 'Parti démocrate' l'année d'après). Les militants se donnent le tour pour en discuter, exprimer ce que signifie le communisme pour eux aujourd'hui, leurs craintes, attentes et projections concernant l'organisation et le combat.


La Cosa ('la chose' et non 'la cause') rapporte, à chaud, des extraits de ces prises de parole individuelles face au groupe. Le cinéaste italien Nanni Moretti les a récoltés dans plusieurs villes d'Italie (Gênes, Naples, Turin, San Casciano, etc) pour mettre au point ce documentaire d'une heure, où défilent les vieux de la vieille, les pessimistes, les attentistes, les jeunes prompts à enterrer les vieilles reliques voire déjà convertis à la social-démocratie. Les rapports à l'Est sont évoqués, l'idée de 'révolution' et les symboles ne préoccupent pas tout le monde. La grande qualité de cette Cosa serait un défaut pour la plupart des films, l'est déjà moins pour un documentaire : il s'agit d'un enregistrement passif. La subjectivité peut encore s'y faire sentir, la capture en elle-même ne saurait être neutre (on voit les vieux s'exalter ou disserter avec une morgue anxieuse ; les jeunes sont défiants, relativistes, froidement remontés – ou apathiques à l'arrière-plan), mais l'ingérence de Moretti est quasi inexistante ; d'ailleurs, il ne prend pas la peine de faire de présentations. La Cosa est en-deçà du reportage et au-delà de l'attraction cinéphile. Il permet d'apercevoir la base et ses réactions, espoirs ou analyses, au moment où l'Histoire s'accélère et les rapports de force idéologiques sont chamboulés pour longtemps.


Un an plus tard, le PCI serait liquidé, permettant à l'ancien parti communiste le plus puissant [électoralement] en Occident d'éviter la grande purge de l'opération « Mains Propres ». Au terme de cette séquence, les grands partis éclatent (y compris le leader Démocratie Chrétienne) et le paysage politique italien se recompose. Cette phase de mutations débouchera sur le règne de Berlusconi, président [du Conseil] que Moretti, cinéaste engagé (à gauche, comme la plupart des artistes ou créateurs ouvertement et positivement politisés dans leurs travaux), attaque dans son Caïman (2006, pour faire le bilan de l'époque). Critique envers son camp dès le premier long (Je suis un autarcique à propos du gauchisme) et dénonçant sa corruption dans le précédent (Palombello Rossa), Moretti se sera tenu dans La Cosa à effacer son jugement, en relayant toutefois sa citation par un 'camarade' (Moretti étant indirectement animateur de soirées rouges) – et en laissant les voies les plus dissidentes inonder la fin du métrage.


https://zogarok.wordpress.com/2016/04/06/la-cosa-moretti-1990/

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le 5 avr. 2016

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