Totalement méconnu (voir le nombre de notes à ce jour), ce film pourtant présenté à la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes (1974) ne peut que marquer ceux qui le verront, en particulier à cause de la fin qui a de quoi surprendre et même choquer.


Dans une petite ville (française) d’une région indéterminée desservie par une gare où passe la Micheline, André (Didier Sauvegrain) travaille chez Forger, l’entreprise locale qui fait du travail de menuiserie. André fait de la petite sculpture et ses copains travaillent dans le même atelier encadré par un contremaître (Jean-François Dupas), alors que l’entrée de chez Forger est surveillée par un gardien. Le patron, Forger (François Valorbe) est un homme la cinquantaine, le crâne dégarni et la mine sévère, qui emploie une secrétaire qui lui sert également à filtrer les visites.


Forger est visiblement du genre cul-serré, les idées bien arrêtées sur sa position de patron. Il affiche une nette tendance autoritaire qui se manifeste par une demande faite à ses employés : se couper les cheveux. André et ses copains ont les cheveux longs. La pression est réelle (« Tu vas voir ce qu’il va te faire Forger (fer forgé) » dit l’un d’eux).


André est le seul du groupe à avoir une copine, ce qui peut surprendre car il n’est ni le plus séduisant ni le plus audacieux. Enfin ce n’est pas encore le bout du monde, puisque Léone travaille au bureau de poste et qu’ils se voient uniquement le soir en rentrant du boulot, à l’arrière du bus où André la pelote gentiment et l’embrasse. André habite encore chez ses parents dans la campagne environnante. Ce qu’il aimerait, c’est emmener Léone (Roselyne Vuillaume) une journée à l’extérieur pour avoir un moment à eux. Ça tombe bien, parce qu’un collègue lui propose de l’accompagner lorsqu’il fait la promotion publicitaire de Forger dans un camion où l’un des côtés, vitré, permet de présenter dans les patelins environnants, un salon, une chambre tout équipés. André et Léone pourraient s’échapper du milieu familial en douce et dormir dans un vrai lit, ce qu’ils n’ont évidemment encore jamais connu.


Ce qui étonne dans cette histoire, c’est que l’aspect social et même sociologique ne prend pas l’allure qu’on pourrait attendre. Albert et ses copains sont mineurs (à l’époque du tournage, la majorité était probablement encore à 21 ans, vu qu’elle est passée à 18 ans le 5 juillet 1974) et ils n’ont aucune conscience syndicale ou politique, comme si mai 68 n’avait jamais eu lieu ou que l’événement ne soit pas parvenu à leurs consciences. Ils ne veulent pas se faire couper les cheveux, mais ils ont besoin de beaucoup réfléchir pour réaliser que ces cheveux sont le reflet de leur être. Ils envisagent alors de se renseigner pour savoir quels sont leurs droits. Globalement, le dicton de l’époque qui me sert de titre est justifié, alors que le propos du film va beaucoup plus loin. Mais on n’est pas dans un film façon Ken Loach et même si le réalisateur reste plutôt méconnu (4 films à son actif pour le cinéma et une petite carrière à la télévision), son film bénéficie d’une bonne image pour les rares qui l’ont vu.


L’histoire est inspirée d’un fait divers relaté en son temps par le Nouvel Obs. Mais Philippe Condroyer en a fait une fiction personnelle, utilisant son expérience des tournages en usines, son goût pour la peinture (c’est le passe-temps d’André), sa connaissance de la région où il a filmé (Oise), une capacité à proposer des dialogues écrits qui sonnent parfaitement justes (jusque dans les hésitations des personnages) et une belle complicité avec Antoine Duhamel pour la BO (trio jazzy qui contribue efficacement à créer une ambiance de malaise). Le malaise, ce n’est pas seulement cette jeunesse qui se cherche, c’est aussi les rapports patrons/ouvriers ou parents/enfants et puis cette ambiance pesante d’une bourgade où l’avenir est bouché (aucun choix réel, à part travailler chez Forger). Seule échappatoire possible, cette Micheline qui permettrait de tout quitter pour tenter l’aventure.


Le film a été tourné très rapidement et avec des moyens limités. L’image (format 4/3, pellicule 16 mm) en couleurs a un rendu qui lui donne un aspect très naturel qui colle bien avec les dialogues (y compris dans l’aspect un peu emprunté des jeunes personnages qui se cherchent, hésitent, etc.). Il constitue une sorte de document sur les mentalités de l’époque, même si, il faut bien en convenir, il aura bien du mal à séduire la jeunesse actuelle qui vit sur une autre planète.

Electron
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le 12 juil. 2021

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