Pour parler de la pluie et de la fin des temps.

Généralement, le plus gênant lorsque l'on regarde un film d'horreur, datant de plusieurs décennies, ce sont ses effets spéciaux qui viennent cruellement rappeler son âge, allant parfois jusqu'à désamorcer ses effets et son potentiel effrayant. Ainsi, revoir récemment certains classiques de mon enfance, tels que The Exorcist ou The Thing, n'a été pour moi qu'une source de regret et de frustration. Fort heureusement, certains ont bien compris qu'il est inutile de trop en montrer pour pouvoir jouer avec nos peurs et nos angoisses, comme c'est le cas de Peter Weir avec The Last Wave ! En refusant tout effet grandiloquent et en privilégiant la force évocatrice des images, le futur réalisateur de l'horrible Dead Poets Society signe ici une œuvre finement angoissante, au charme intemporel.

La grande originalité de The Last Wave est d'aborder, sur fonds de visions d'Apocalypse, la culture aborigène en la mettant en parallèle avec celle de l'homme Blanc, prétendument si moderne et si civilisé. La démarche de Peter Weir est d'autant plus efficace qu'il n'aborde pas le sujet de manière frontale ou réaliste, mais illustre avec force les valeurs fondatrices d'un peuple qui est présent sur ces terres depuis déjà plusieurs milliers d'années. L'esprit de communion, d'appartenance à un groupe, les échanges entre les êtres qui sont ne sont pas dénaturés mais, au contraire, chargés de sens (ici symbolisés par les rêves), ou encore le rapport privilégié avec l'environnement, sont autant d'éléments qui viennent souligner la richesse de la culture aborigène. On peut éventuellement sourire devant tout le folklore déployé à l'écran, mais c'est surtout l'Homme moderne qui inquiète et qui interpelle : superficiel, psychorigide, sourd aux attentes de ses proches, aveugle sur ses propres responsabilités, il est bien souvent l'initiateur du chaos et du désordre.

Avec Picnic at Hanging Rock, Peter Weir nous avait déjà fait la preuve de tout son savoir-faire en matière de suspense et d'ambiance fantastique. Ici, avec plus de moyens, il tente de reproduire l'essai mais avec des ambitions bien plus grandes. Peut-être trop grandes d'ailleurs, car The Last Wave n'est pas une œuvre totalement aboutie : des thématiques trop disparates (thème de l'Apocalypse, choc des cultures, etc.) et un rythme mal maîtrisé nous donnent l'impression d'être en face d'un film inégal, où s'alternent étrangement moments palpitants et instants gentiment anodins. Et puis surtout, là où Picnic at Hanging Rock tirait sa force de son ambiance mystérieuse, The Last Wave se révèle curieusement bavard et explicatif ! Et trop d'explication tue le mystère, c'est bien connu.

Malgré tout, bien souvent, Peter Weir se montre brillant pour développer une ambiance fantastique délicieusement prenante. Le début du film, d'une grande intensité, parle d'ailleurs en ce sens : les jeux sur les lumières, sur cette obscurité qui se fait progressivement prégnante à l'écran, ainsi que sur les sonorités, avec ce grondement soudain et ces coups de tonnerre inquiétants, renforcent l'impression d'un danger imminent et invisible. La suggestion bat son plein et l'angoisse monte d'un cran avec l’effroi qui s'empare des adultes comme des enfants. Même si Weir va avoir du mal à maintenir et à reproduire cette intensité, il va réussir à exalter ce sentiment de cauchemar éveillé dans des scènes où la frontière entre rêve et réalité est extrêmement ténue : c'est cette eau qui envahit silencieusement l'habitat avant de s'approcher de sa "proie", c'est ce liquide qui s'infiltre insidieusement dans la voiture du héros, allant jusqu'à noyer sa propre réalité, ce sont ces visions qui se matérialisent à l'écran sous les effets fracassants d'une tempête... finalement, c'est avec talent que Weir distille à l'écran une angoisse sourde des plus remarquables, rendant cette enquête mystique passionnante à suivre, malgré ses défauts.

Créée

le 1 août 2023

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Procol Harum

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