Avec l'ascension et la déchéance sociale d'une jeune provinciale au sein de la bourgeoisie intellectuelle et artistique de San Francisco, Nicholas Ray détourne une histoire qui semble romantique au premier abord pour pointer du doigt l'arrivisme sans scrupule d'une femme vénale et manipulatrice. Cinglant réquisitoire contre l'insatiable ambition cupide, La Femme Aux Maléfices est le quatrième film du cinéaste qui se verra malheureusement dépossédé du projet par Howard Hughes, le célèbre aviateur milliardaire qui désirait devenir "le plus grand producteur et réalisateur de films au monde" et qui venait d'acquérir les studios de la RKO. En, effet, Hughes congédia d'abord Barbara Bel Geddess afin d'imposer Joan Fontaine dans le rôle principal et rédigea lui-même une nouvelle conclusion scénaristique, moins sombre et pessimiste que celle voulue par Ray, où le milliardaire du film incarné par Zachary Scott, métamorphosé en aviateur pour l'occasion, relate ses émotions lorsqu'il pilote dans les airs. Un imbroglio narratif qui ne ressemble pas vraiment au cinéma habituel de Nicholas Ray qui, le cœur dans l'âme, devra se soumettre à toutes les dénaturations exigées par le nouveau nabab d'Hollywood.

Christabel Caine, provinciale faussement ingénue, s'impose naturellement au sein de l'entourage mondain de sa cousine Donna, fiancée au milliardaire Curtis Carey. Dans cet univers peuplé d'artistes sans le sou et d'amateurs d'Art très fortunés, Christabel rencontre le romancier Nicholas Bradley dont elle tombe éperdument amoureuse tout en préférant l'avantageux capital de Curtis. Du haut de son machiavélisme, la jeune femme fomente un plan qui la conduit à écarter Donna et à épouser Curtis...

Choisir la sécurité financière en sacrifiant ses véritables sentiments amoureux est aujourd'hui très commun et touche toutes les classes sociales. En ce sens, La Femme Aux Maléfices a pris un sacré coup de vieux et il est nécessaire de se replonger dans le contexte de l'époque pour en apprécier le fond. Il y a 73 ans, les mentalités étaient certainement différentes pour qu'un cinéaste tel que Nicholas Ray y consacre un long-métrage et c'est la forme qui prend aujourd'hui le pas avec quelques géniales trouvailles de mise en scène dont l'introduction (l'incessant chassé-croisé des protagonistes dans l'appartement de Donna) ou encore la délicieuse séquence de vernissage où un artiste-peintre cynique incarné par Mel Ferrer y expose ses toiles. Le scénario inconditionnellement retouché par Hughes pour le métamorphoser en classique mélodrame perd malheureusement de son piquant originel et c'est presque sans aucun intérêt que Ray dessine le parcours arriviste de Christabel, lui préférant amplement le personnage de Nicholas magnifiquement interprété par Robert Ryan et que l'on devine aisément (rien que par le prénom) être l'alter ego du cinéaste. Amusant alors de prêter attention au personnage du milliardaire, naïf et artistiquement peu cultivé, qui pourrait subtilement brocarder Hughes. Quoi qu'il en soit, il serait intéressant de découvrir le roman original All Kneeling, rédigé en 1928 par Anne Parish, qui a servi de base pour le script.

D'abord projetée dans les salles françaises sous le titre Lit De Roses avant d'être intitulée La Femme Aux Maléfices, l’œuvre triomphera dans certains pays, dont l'Italie, qui éditera même un roman-photo dit "romantique" pour narrer le vénal et diabolique parcours de Christabel Caine.

candygirl_
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Mes films / BD & DVD, Films visionnés en 2023 et Les meilleurs films de Nicholas Ray

Créée

le 3 sept. 2023

Critique lue 34 fois

4 j'aime

5 commentaires

candygirl_

Écrit par

Critique lue 34 fois

4
5

D'autres avis sur La Femme aux maléfices

La Femme aux maléfices
greenwich
6

La femme aux maléfices (1950)

Ce film tourné en noir et blanc pourrait presque être classé dans les films noirs même si il n'en possède pas tous les éléments. Curtis est un homme très riche qui ne sait pas si les femmes l'aiment...

le 8 sept. 2014

3 j'aime

La Femme aux maléfices
estonius
6

Heureusement qu'il y a Joan Fontaine !

C'est un film d'acteurs, Robert Ryan, Mel Ferrer et Joan Leslie sont au top, mais c'est bien sûr Joan Fontaine qui illumine le film de sa beauté et de son talent dans un rôle peu évident. Le souci...

le 10 déc. 2018

2 j'aime

La Femme aux maléfices
Marlon_B
5

Quelle garce!

Quelle garce tout de même, que cette Christabel (Joan Fontaine)! Prête à tout, quitte à user de moyens machiavéliques, elle cherchera à éliminer tout ceux et celles qui se présenteront sur son chemin...

le 16 juin 2017

1 j'aime

Du même critique

Saint Ange
candygirl_
6

La sentinelle des meurtris

19 ans après sa sortie, Saint Ange reste un film mal aimé dans notre pays. Considéré à tort comme un pur film d'horreur, il n'est ni plus ni moins qu'un macabre conte fantastique puisant ses racines...

le 5 sept. 2023

9 j'aime

3

Gérard Depardieu : la chute de l’ogre
candygirl_
3

... ou la lâcheté d'un milieu artistique

De "l'affaire Depardieu", pourtant omniprésente dans les médias et sur les réseaux, je n'étais au courant que des diverses plaintes pour viol et agressions sexuelles et je n'avais découvert qu'un...

le 4 janv. 2024

8 j'aime

6

Les Diables
candygirl_
9

Conte de la folie ordinaire

Quelle claque ! L’œuvre est démente, stupéfiante, étouffante et l'on en sort fourbu, épuisé par tant d'hystérie. Basé sur la pièce éponyme créée par John Whiting et le livre Les Diables De Loudun...

le 2 nov. 2023

8 j'aime

9