Un film aussi intime que cruel, d'une précision frappante !

Kirill Serebrennikov revient sur nos écrans après son dernier film "La Fièvre de Petrov" qui avait suscité bien des débats à Cannes. Le revoici avec un film qui a fait du bruit sur la croisette, malgré une absence de récompenses, sur l'histoire méconnue de la (véritable) femme du célèbre Tchaïkovski. Sommes-nous devant un drame bouleversant, ou un film d'auteur trop prétentieux ?


"La Femme de Tchaïkovski" est un véritable coup de cœur ! Le film nous frappe de par sa maîtrise à grands coups de plans-séquences ahurissants et d'une mise en scène millimétrée, avec une interprétation de son actrice principale qui nous cloue au sol. Une grande réussite !


Visuellement, la mise en scène nous frappe dès son ouverture ! La photographie rend chaque plan d'un onirisme inquiétant, ce qui le rend d'autant plus fascinant ! Au-delà de cet onirisme ambiant, presque comme une peinture, le tableau se dévoile pour déployer devant nous la virée cauchemardesque du métrage. Et le tout est magnifié par la mise en scène d'une très grande précision, mettant au cœur de ce drame intime, la décrépitude, d'une relation, mais surtout de l'esprit ! Et c'est là qu'est certainement la force du film, au détour de plans-séquences qui transposent plusieurs temporalités dans des enchaînements qui poussent au respect.


C'est grâce à tout cela, que le film gagne en force, prend en ampleur, tant pendant le visionnage qu'une fois le générique terminé. C'est une mise en scène à la fois virtuose et punk, qui nous rappelle que même si Serebrennikov sait prendre un pas plus classique, il n'hésite jamais à y apposer sa patte pour mieux bousculer nos codes. Pari réussi tant le film impressionne par sa mise en scène et la puissance qui en découle.


Si le métrage possède une mise en scène parfaite, on ne peut nier que les deux interprètes donnent aussi du corps au film, notamment Alena Mikhailova qui est terrifiante de justesse dans le rôle Antonina Milioukova.


Car même si on peut admettre que le cinéma de Serebrennikov n'est pas très didactique, et que ce film ne fait pas exception. Il s'encre parfaitement dans son univers en se penchant sur un pan de la société russe. Mais plus que cela, le film s'attarde sur non pas Tchaïkovski, mais bien sa femme qui se verra prisonnière d'une relation vérolée et morte-née. Sur ce fond de drame intime, où le questionnement de la place de la femme prend tout son sens, c'est avant tout un métrage sur les ténèbres de l'Humain, le pourrissement de l'esprit et des corps, où la folie nous emporte dans sa noirceur au rythme de scènes fantasmagoriques et aux portes de l'horreur. Car Piotr Tchaïkovski, figure célèbre dans le milieu n'est que l'ombre menaçante dans ce film, où l'on va davantage s'attarder sur notre jeune Antonina, tiraillée entre passion et déni, dans une société où elle n'existe qu'au travers de son mari qui la répugne.


Bien plus qu'un drame intimiste, le film nous emporte dans son récit très politique et étouffant, aux notes fantastiques, voire horrifiques. Un carrefour des genres que le réalisateur arrive subtilement à mélanger pour tirer toute la puissance de ce qu'il nous raconte.


En conclusion, "La Femme de Tchaïkovski" est une grande leçon de cinéma, fourmillant d'idées de mise en scène brillantes, mais parvenant à ne pas occulter la force du récit. Un grand manège cauchemardesque à la croisée des genres.

Julien_Levallois
8

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Créée

le 22 févr. 2023

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