Pour son sixième long-métrage, Thierry Klifa réussit une comédie jubilatoire et grinçante, caricaturale et haute en couleur, s'inspirant librement de la célèbre et passionnante affaire Banier-Bettencourt. La même qui a fait l'objet d'un documentaire récent sur Netflix "L'affaire Bettencourt: scandale autour de la femme la plus riche du monde" de Baptiste Etchegaray et Maxime Bonnet, s'appuyant sur les enregistrements pirates réalisés entre 2007 et 2010 par le maitre d'hôtel de Liliane Bettencourt.

S'affranchissant des contraintes du Biopic, le réalisateur s'approprie l'affaire par un scénario fictionnel satirique façon thriller qui met aux prises, sur une durée de plus de 20 ans, la richissime Hélène Farrère, sa fille héritière Frédérique Spielman et l'extravagant et fantasque écrivain photographe Pierre-Alain Fantin. Déboulant sur sa mobylette un jour de 1987 dans cette famille guindée, il bouscule les certitudes par un dynamitage en règle de l'ordre établi. Par son excentricité, il séduit Hélène, alors souffrante et dépressive, lui donnant une perspective réjouissante de la vie, peu importe le prix à payer pour ça quand on est tellement fortunée !!

Autour de ce trio sur lequel l'intrigue principale d'un prétendu abus de faiblesse est bâtie, le réalisateur associe les maris Guy Farrère et Jean-Marc Spielman, sans oublier le majordome et confident Jérôme, et met l'accent sur les complexités et rivalités familiales où tous les coups bas sont permis.

Et même si les millions d'€uros volent bas, la guerre de succession mère/fille n'est pas qu'une question d'argent, puisqu'un secret de famille autour de la collaboration fait vaciller les ambitions du groupe de cosmétiques qu'Hélène dirige de loin, un sujet collatéral qui élargit la perspective du film, et que Thierry Klifa introduit avec subtilité et justesse, d'autant que son gendre est de confession juive.

Mais au-delà du cynisme et d'un tableau grinçant d'une famille scandaleusement riche, le réalisateur sait faire craquer le vernis en explorant les failles et les sentiments de l'amour filial entre une mère et sa fille. La jalousie de cette dernière de ne pas être à la hauteur de sa mère flamboyante provoque sa soif de vengeance; sinon comment expliquer sa position puisqu'elle est déjà la seule héritière ?

Ce qui fait le succès du film est avant tout le fantastique couple d'acteurs Laurent Laffite (Banier/Fantin) et Isabelle Huppert (Bettencourt/Farrère) qui se mettent en valeur l'un l'autre dans leur relation extravagante : Laffite est époustouflant et génial dans ce rôle hallucinant d'insolence, avec sa chevelure de jeune premier, cet acteur boulimique qui transforme son image, jadis policée, depuis quelques films (Les Barbares, Classe Moyenne, T'as pas changé - en lien avec son départ de la Comédie Française en 2024 ?) tandis qu'Huppert, davantage dans la continuité (La Syndicaliste, Mon Crime, La prisonnière de Bordeaux), trouve ici un rôle lumineux, parfaitement taillé à sa mesure, sous la forme d'une renaissance joyeuse. Ensemble ils semblent vraiment s'amuser ce qui contribue à la réussite de cette farce, d'autant que l'écriture et les dialogues sont d'une grande qualité, à l'instar de ces témoignages en mode confidence face caméra des différents protagonistes en amont du procès.

Le reste du casting des personnages principaux est certes très bon, mais en retrait des deux acteurs principaux, que ce soit Marina Foïs, féroce et excellente, cachée derrière sa frange, mais avec moins d'ampleur que dans le récent Moi qui t'aimais, Raphaël Personnaz qu'on sent à l'étroit dans le rôle shakespearien du majordome avec ces cheveux blonds ambivalents, ou encore André Marcon et Mathieu Demy, les maris qui servent quasiment de faire valoir.

Le soin apporté aux décors avec image gros grain qui fait ressortir les couleurs chaudes, contribue à une ambiance vintage très cossue, davantage suggérée qu'ostentatoire, que ce soit dans la fabuleuse résidence principale de Neuilly ou les luxueuses résidences secondaires en bord de mer (en réalité tout est filmé en Belgique). Et comme il se doit dans ce milieu, la richissime Hélène a une toilette différente lors de chacune de ses apparitions.

Présenté à Cannes 2025 en hors compétition, le film de Thierry Klifa s'avère être de loin la meilleure comédie française de l'année, même avec ses accents dramatiques et sa durée de plus de deux heures qu'on ne voit pas passer.

Le réalisateur se raille certes des travers d'une grande famille française, mais sait appuyer sur la sensibilité des relation humaines, au fond comme dans toutes les autres. Se concentrant sur le retentissant fait de société, il sait éviter avec soin les embarras politiques de l'époque, qui renverraient inévitablement à aujourd'hui, et aborde très peu le fonctionnement business des grandes entreprises, ce qui est nettement préférable dans le contexte géopolitique de nos temps troublés.

A voir sans modération pour un moment irrésistible de drôlerie et savoureusement décapant !

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le 6 nov. 2025

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Azur-Uno

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