Histoire d'amour incestueuse : c'est au nom de l'amour que les pires transgressions sont justifiées


Que tu es beau, quand tu dors. Doux et long, et disloqué comme une belle dame qui sommeille. Les mains pour cacher la lumière. J'entends ta respiration, régulière et fatiguée. Je voudrais te regarder longuement, mais je n'ai qu'un instant. Je ne pensais pas voler une image de toi sans que tu le saches. Merci.



Je fais la collection des blu-ray Gaumont. J'apprécie leur fameux format avec boîtier blanc (je sais jusque-là on s'en fout me direz-vous, mais ne vous inquiétez pas je vais vite en venir au fait), donc dans cette logique je me suis pris au jeu d'acheter les films de cette collection sans jamais lire le résumé afin d'être au mieux surpris durant mon visionnage. Eh ben je peux vous dire que pour être surpris, j'ai été sacrément surpris ! Ne sachant pas ce que j'allais voir je me suis totalement fait avoir par le récit scabreux de La fille prodigue réalisé par Jacques Doillon, qui met en place un véritable drame psychologique perturbant et troublant de par le sujet qu'il développe à savoir : "l'amour incestueux entre un père et sa fille."


Anne, 30 ans, dépressive, perd tout repère avec la réalité, ne supportant plus aucun contact avec son mari pourtant aimant et attentionné. Afin de mieux reprendre pied, Anne retourne vivre chez ses parents, sa mère finit par rejoindre son autre fille enceinte, laissant Anne seule avec son père. En se retrouvant seule avec lui, Anne ne peut plus se mentir à elle-même et comprend qu'elle aime son père d'un amour authentique et incestueux, responsable de son malaise.


Avec La fille prodigue le cinéaste ne parle pas de viol incestueux, mais bien de relation amoureuse incestueux consenti, sujet pour le moins controverse amenant son lot de situations ambiguës et destructrices. C'est toujours au nom de l'amour que les pires transgressions sont justifiées. Ici, le réalisateur place Anne en tant que victime, non pas d'abus sexuel, mais victime de ses propres sentiments et pulsions. Une parjure tortueuse et silencieuse dans laquelle Anne n'a aucun moyen de formuler son mal-être pour mettre une forme à sa profonde souffrance. Tout du long, Anne m'a profondément touché, je n'ai cessé de la plaindre, devant cette émotion nébuleuse à laquelle elle ne peut se soustraire ni s'absoudre malgré tout. Jacques Doillon prouve que l'amour n'est donc pas une valeur sûre surtout lorsqu'il s'agit de l'amour parental.


Mais comment Anne a-t-elle pu en arriver là ? C'est ce que réussit à mettre en place le cinéaste qui décrit des rapports aimants et simples entre un père et une fille. Une fille qui finalement n'est jamais parvenu à s'affranchir de son enfance et de son amour exclusif avec son père. On le sait, enfant toute jeune fille éprouve une relation forte avec son père, sur lequel elle exerce ses petits charmes innocents, qui plus tard bien entendu ne seront plus exclusifs au père, qui sera mis de côté et remplacé par un nouvel homme, une nouvelle figure pour la jeune fille devenue femme. Pour traduire : le passage de l'innocence à la sexualité. Seulement, le problème avec Anne s'est qu'elle n'a jamais réussi à franchir ce promontoire naturel, laissant donc en place une jeune fille dans un corps d'adulte né de la frustration via son obsession envers son père qu'elle n'a pas le droit d'aimer d'un amour fou.


L'adulte qu'elle regarde encore de ses yeux d'enfants et qui constitue l'essentiel de sa vie, un amour impossible qu'elle doit assouvir sous peine de devenir totalement folle. L'heure n'est plus au doute, mais à la concrétisation de ce sentiment qu'elle veut enfin pouvoir pleinement assumer, mais cela passe inéluctablement par mettre au courant ce fameux père, responsable de son égarement passionné et démesuré; et aussi de mettre hors d'état de nuire toute concurrence de manière audacieuse, comme sa mère qu'elle renvoie auprès de sa soeur enceinte, ou encore la maîtresse de celui-ci. Stop à cette sensualité trop longtemps ignorée; cette passion dévorante lui faisant jalouser et détester sa propre mère. Anne veut retrouver et raviver cette exclusivité auprès de son père, quitte à devoir lui imposer ses sentiments, pour pouvoir enfin goûter aux fruits défendus par le plaisir de la chair, et enfin retrouver un semblant d'esprit pouvant lui rendre cette vie perdue.


Une description saisissante et dérangeante de Jacques Doillon, qui dépeint admirablement bien ce récit complexe par des séquences aux dialogues profonds et travaillés. Lorsque les dialogues sont mis de côté, c'est pour mieux laisser place à des scènes remarquablement mises en scène donnant tout son sens au traumatisme qui anime Anne comme :
- Lors du repas de famille, où Anne commande à son père de la nourrir en lui servant la nourriture à même la bouche en faisant des bruits d'avions, comme lorsqu'elle était plus jeune.
- L'invitation de la maîtresse chez son père, auquel Anne mettra un therme par un procédé astucieux.
- Les nuits où Anne prétexte des cauchemars pour venir se presser contre son père dans son lit...


L'attitude du père est tout du long nonchalante et amorphe si bien qu'on a du mal à saisir son fond de pensé. Il se montre très présent pour cette fille auquel avec laquelle il est uni par une forte complicité faite de pudeur et de réserve authentique. Une relation faite d'amour, de tendresse et d'admiration. Un père clément et commode qui laisse tout passer, peut-être même trop.


L'interprétation du duo Birkin/Piccoli, est remarquable ! Jane Birkin dont je ne suis pas un grand fan en temps normal m'a laissé bouche bée devant ce rôle dépressif et profondément meurtri pour l'amour qu'elle ressent envers son père incarné par un Michel Piccoli impeccable. Tous deux portent entièrement le film, offrant des performances de qualité dans des rôles essentiellement complexes et problématiques à incarner.


Si le fond est extrêmement intéressant et bien déroulé avec beaucoup de nuances et de fond dans le scénario, la forme elle, a bien du mal à tenir la route. Une fois passée la première demi-heure du film qui se révèle molasse et mal rythmée, l'intrigue prend enfin plus d'intérêt. Seulement, les dialogues sont souvent longs, les plans fixes, la musique inexistante, en bref il y a de quoi vite s'ennuyer. Heureusement, dans toute cette nonchalance visuelle, la tension montera au fur et à mesure du récit en s'apercevant que la fille se rapproche toujours plus de son père, et par conséquent de son but ultime.


La fille prodigue n'est pas un film facile d'accès, puisqu'il m'a finalement profondément retourné puisque (spoiler) : la fille finit par obtenir du père la chose qui enfin va lui permettre d'avancer, quitte à faire sombrer son paternel dans un profond remords d'amertume de par l'acte incestueux qu'il a commis avec sa fille. Mais pouvait-il en être autrement ? Sa fille au caractère fort, pleine d'audace lui avait affirmé qu'il ne pourrait rien faire contre cela, et qu'elle le mangerait tout cru. Puisque le père ne pouvait mettre un terme lui-même à son supplice, elle s'en est chargé elle-même quitte à le prendre en otage par les sentiments.
Pour finalement en conclure :
" Il faut vaincre cette honte. Et se souvenir de cette nuit comme une grande et belle nuit. Et aplanir ce sale sentiment de honte. Même si c'est lui qui va commencer par nous mettre au tapis. Il faudra s'en relever. Tu me promets ? Et c'est bien ce que je voulais. La soeur, elle descend, elle fait un enfant, et moi, je remonte. J'ai retrouvé l'homme d'où je viens. Je ne voulais pas continuer la chaîne. Maintenant, je vais peut-être pouvoir."


Malgré tout, si l'acte avec le père lui a enfin permis de pouvoir pleinement assumer tout ce refoulement qui est la cause de sa dépression et d'en sortir, il ne lui promet pas forcément un avenir meilleur, à moins que du père, la fille obtienne finalement un enfant, lui permettant de fermer ce cycle infernal et d'évoluer vers l'avenir sans regret, car enfin une preuve de cet amour prendrait forme, l'inscrivant à jamais dans le réel.


" Je suis enceinte. C'est drôle, je n'ai plus de regrets. Plus de regrets. C'est bien. "


CONCLUSION :


Je ne sais pas si ce film mérite un 8, mais devant l'effort de proposition très original, je n'arrive pas à lui mettre moins.


C'est beau et dérangeant à la fois, et s'est ce qui fait la force de cette oeuvre à part.




  • Tu te laisses faire depuis le début, parce que je suis malade. Et la maladie ça sert à faire culpabiliser les autres. C'est drôlement pratique. Mais maintenant, te laisse plus faire. Vas-y. C'est un jeu. Tout ce que tu m'as pas dit, envoie-le-moi, bien fort.

  • Pourquoi veux-tu m'obliger à te dire des choses désagréables que je pense pas ?

  • Tu commences très mal, et très lâchement.

  • Bon. Laisse-moi chercher. Tu te débarrasses de ta mère : Fin du 1er acte.

  • Ça prend une bonne tournure, mais c'est pas tout à fait vrai. On peut dire que c'est elle qui m'a attirée ici, pour te surveiller, t'empêcher d'aimer l'autre dame.

  • Puis tu t'es débarrassée de "l'autre dame".

  • Fin du 2e acte.

  • Peut-être. Et puis de ton mari. Ça pourrait être le 3e acte.

  • On dit que c'est le 3e acte.

  • Et maintenant, tu ne sais pas comment te débarrasser de moi. À quelle sauce tu vas me manger?

  • Ah ça, je vais te manger, c'est sûr.


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le 6 sept. 2020

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