Qui est le film ?
Réalisé en 2011, c’est le dernier grand récit de fiction avant qu’elle ne s’oriente plus résolument vers l’essai et l’autoportrait. Le film adapte le premier roman de Joseph Conrad, mais Akerman déplace le texte : elle l’installe dans les années 1950, au Cambodge, au moment où les certitudes coloniales s’effritent. En surface, l’histoire est celle d’Almayer, marchand européen déchu, installé en Asie et obsédé par le rêve de fortune, et de sa fille métisse, Nina, que tout oppose à lui.
Que cherche-t-il à dire ?
La « folie » d’Almayer n’est pas d’abord la dérive d’un individu mais le symptôme d’un système : le colonialisme, ses promesses de richesse, sa prétendue supériorité morale, et son échec retentissant. Ce que le film cherche à montrer, c’est comment un projet économique et politique se traduit en pathologie, comment une idéologie se consume dans un corps, une maison, une relation père-fille.
Par quels moyens ?
Almayer ne sombre pas dans la folie par accident. Son obsession de la mine d’or, ses rêves de fortune, se heurtent au réel : aucune prospérité, seulement la décrépitude. La folie incarne ici l’effondrement d’une narration collective.
Comme dans ses films précédents, Akerman travaille la lenteur : longs plans de la rivière, de la jungle, des intérieurs étouffés. Cette dilatation du temps fait éprouver au spectateur l’usure, l’attente interminable, la ruine progressive. L’esthétique rejoint le sujet.
Le film joue des langues multiples, du français à l’anglais en passant par les idiomes locaux. Ce multilinguisme n’ouvre pas à la compréhension mais à l’écart. Les dialogues se heurtent, les traductions échouent.
Nina est le point de fuite du film : fille métisse, tiraillée entre appartenance et refus, elle incarne à la fois le rêve d’Almayer (héritière de sa fortune imaginaire) et son échec (elle refuse son autorité). Akerman la filme comme sujet autonome, non comme simple reflet du père. Elle concentre la question postcoloniale : comment inventer une place quand aucune appartenance ne suffit.
Où me situer ?
Loin de tout exotisme, Akerman déplie un récit d’échec avec une patience obstinée. Je suis toujours saisi par l’usage du temps, par cette façon de rendre sensible l’effritement à travers des plans qui ne lâchent pas leur proie. Pourtant, cette même exigence formelle m'a aussi découragé.
Quelle lecture en tirer ?
La Folie Almayer ne raconte pas seulement la chute d’un homme. Il montre, par l’usure même de sa forme, comment un monde s’écroule : un monde de promesses coloniales, de virilité européenne, de rêves de possession.