Application SensCritique : Une semaine après sa sortie, on fait le point ici.

[Critique à lire après avoir vu le film]

Commençons par saluer la reconstitution des années 70 : La French ressemble à bien des polars de cette époque, qu'ils soient signés Yves Boisset (Le juge fayard), Jean-Pierre Melville (Le cercle rouge) ou Alain Corneau (Le choix des armes, Police Python 357). Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Benoît Magimel et Guillaume Gouix ont simplement remplacé Montand, Depardieu, Delon ou Lanvin. A moins que le film ne lorgne vers les Etats-Unis : cette French rappelle fortement dans son argument le Serpico de Sidney Lumet, et on pense forcément à Michael Mann pour les scènes d'action ou à Scorsese pour le milieu mafieux.

L'intrigue, elle, est moins irréprochable dans sa crédibilité. Un juge au grand banditisme qui dérange tant de monde, circulant sans escorte, ne bénéficiant d'aucune protection ? Bien difficile à croire. Deux ripoux bien identifiés qui s'en sortent, finissant en héros derrière le ministre de l'Intérieur ? Inexplicable, surtout dans un contexte où les têtes tombent. Un grand vilain dangereux, au point d'être surnommé "le fou", dont on ne s'assure pas qu'il est complètement mort ? Très léger de la part des hommes du boss, surtout quand on a vu, dans la première scène, qu'on ne se gênait pas pour vider son chargeur sur les cibles pour faire bonne mesure.

Tout cela fait un peu tiquer. Moins, toutefois, que le caractère très convenu du scénario. Les clichés du genre se succèdent : les incessants règlements de comptes à coup de calibre, les guerres fratricides au sommet, le parrain calme mais capable de sauvagerie lorsqu'il pète un câble, les taupes infiltrées dans la police, les politiques corrompus, une boîtes de nuit offerte en cadeau, le chantage pour faire parler les hommes de main. Et surtout le preux chevalier blanc, bravant le danger sans trembler, ici incarné par un Jean Dujardin toujours impeccable, même affligé de rouflaquettes. Face à lui, Gilles Lellouche est un poil en-dessous - il faut dire que l'ombre du bien plus inquiétant de Niro plane sur sa prestation. On ajoutera, pour faire bonne mesure, des dialogues pas toujours compréhensibles. Et un non-dit scénaristique : pas compris pourquoi l'exécution du juge débouche automatiquement sur l'arrestation de son ennemi juré...

Autre point, Cédric Jimenez n'a pas la fibre féministe : le male gaze se déploie en majesté dans son film. (Au moins peut-on constater, en visionnant les scènes coupées, qu'une séquence navrante nous a été épargnée, où une secrétaire new yorkaise dévore du regard le séduisant juge frenchy, avant de faire la moue apprenant qu'il semble fidèle à son épouse...) Certes, il rejoint en cela les longs métrages de Corneau ou de Melville cités ci-dessus. Comme dans Le cercle rouge ou Le choix des armes, les femmes servent ici exclusivement à se trémousser à moitié à poil, à s'extasier sur des bijoux ou à accomplir leur devoir de fée du logis. A cet égard, la relation du juge Michel avec son épouse (incarnée par Céline Sallette) donne lieu aux pires poncifs : madame a peur pour la vie de son homme, proteste dès qu'il se laisse bouffer par son métier, finit par partir chez une copine, finalement se rabiboche avec son héroïque amour dès que celui-ci fond en larmes. Car, intraitable dans son boulot, notre homme est aussi un être sensible qui réprime à grand peine ses larmes lorsqu'il apprend qu'une de ses protégées a succombé à une overdose, doublé d'un père de famille modèle, qui fait réciter leurs leçons à ses filles. Il sait même, au besoin, faire la cuisine. Un quasi-dieu - quoique mortel. Pour tempérer cette perfection, Jimenez et sa coscénariste Audrey Diwan (la même qui signera le saisissant L'événement ?... on a peine à le croire) ont collé à notre juge une ancienne addiction au jeu. La ficelle est un peu grosse.

Puisque tout ici est rebattu, on s'attend à ce qu'il lui arrive des bricoles. Un bon point pour le film de Jimenez, on n'a pas droit aux tentatives d'intimidation classiques, envoi de mini cercueil par la poste, enlèvement des enfants du juge ou pierre jetée dans la baie vitrée de sa maison. Juste à une assez réussie confrontation au bord des calanques de La Ciotat (j'ai reconnu l'endroit), où les deux hommes se toisent. Dujardin prend l'ascendant sur Lellouche, notamment parce qu'il ne le tutoie pas. Une belle idée. Il finira par y laisser sa peau quand même, mais au terme de 2h un peu longues.

La réalisation s'accorde au scénario : elle ne surprendra pas les habitués du genre. Musique extradiégétique envahissante façon clip ou montage alterné dès qu'un enjeu scénaristique se profile à l'horizon (la mort du juge, qui ose même le ralenti), le cinéaste marseillais ne recule devant aucun procédé éculé. La recette sera la même dans Bac Nord, plus réussi à mes yeux que cet opus-là.

"Sans les Américains, on n'est rien", lâche, désabusé, Tany qui vient d'accepter la remise de 15% extorquée par les émissaires de la mafia new yorkaise. C'est un peu ce que pourrait dire le réalisateur, tant son film présente les forces et faiblesses du genre tel qu'on le fabrique outre-atlantique : une interprétation de qualité et un savoir-faire indéniable dans les scènes d'action (cf., par exemple, l'assaut au labo final) mais bien moins de talent pour traiter les scènes sentimentales ou l'expression des idées. Serpico n'échappait pas totalement à ce constat. Bang bang, la chanson mélancolique de Bonnie & Clyde qu'on entend en fond dans une scène au Kripton, est censée annoncer la chute du magnat de la drogue. Elle résume très bien le film de Jimenez, qui n'a pas grand chose de plus à offrir.

6,5

Jduvi
6
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le 28 mars 2023

Critique lue 10 fois

Jduvi

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