Ce doit être la troisième fois que je vois ce film en salle. Et plus je le vois, plus je l'aime et plus j'en perçois toutes les nuances, toute la richesse et la vérité humaines. C'est une critique extrêmement juste, caustique, audacieuse du monde de l'entreprise. Ça date d'il y a soixante ans et ça n'a pratiquement pas pris une ride. L'entreprise est toujours divisée en exploiteurs et exploités. Et ou vous acceptez les cruelles et avilissantes règles de ce jeu-là ou vous giclez. Rien n'a changé depuis 1960 à ce niveau. C'est toujours le même chantage : vous vous pliez aux desiderata, voire aux ukases de votre hiérarchie ou vous allez tenter votre chance ailleurs.
La première fois que j'ai vu La Garçonnière (c'était avant le début de ce siècle), je l'ai reçu comme une gifle, parce que ma supérieure hiérarchique d'une précédente grosse entreprise dans laquelle j'avais travaillé m'avait absolument soumis au même chantage que Baxter / Jack Lemmon (à croire qu'elle s'inspirait du film), genre : ou tu me passes la clé de ton studio (lequel était une location ô combien modeste !) pour que j'aille m'y envoyer en l'air avec mon amant du moment (les deux étaient employés de l'entreprise, mariés mais pas ensemble) ou je vais me plaindre de la qualité de ton travail auprès du boss du département. Comment résister à ce chantage ? Je savais bien que c'était du harcèlement moral, un viol de ma vie privée, mais l'entreprise était prestigieuse et je tenais à mon job, donc... je lui remettais ma clé et, entre treize et quatorze heures trente, ils allaient baiser chez moi. Jusqu'à ce que le mec se lasse de ces galipettes (il approchait des quarante).
Tout ça est loin aujourd'hui, mon dieu ! Et du coup, j'apprécie beaucoup mieux ce chef d'oeuvre de la comédie américaine ("comédie" qu'on peut également entendre comme on entend La Comédie humaine de Balzac). Je peux y rire de bon coeur et en même temps y pleurer, car dans La Garçonnière, on est toujours sur le fil du rasoir. Donc oui, j'ai été ému aux larmes devant les plus célèbres scènes ou réparties du film, notamment (comme beaucoup, j'imagine) par le bouleversant happy end et la partie de rami finale, tout réjoui que ces deux-là (Baxter et Fran Kubelik, c'est à dire Jack Lemmon et Shirley MacLaine) aient quand même fini par se retrouver... même si ça n'est que dans un monde magique perdu corps et biens depuis des décennies, celui du cinéma hollywoodien de la grande époque.