Depuis quelques années, Manuel Martín Cuenca semble tenir le bon filon, à la hauteur des ambitions de son écrivain dans « Le Mobile » et de la sensibilité des « Amours Cannibales ». Le cinéaste, accompagné d’Alejandro Hernández, investit pleinement ses récits et les arrose d’une sublime couche psychologique, où les contradictions humaines entrent en collisions, que ce soit dans son propre foyer ou à travers une émission télévisée. Le couple est à l’honneur dans cette vallée de Jaén, armé de ses disputes et de ses bonnes intentions, qui ne suffisent pas toujours à maintenir l’harmonie. C’est ce qui se cache derrière ce vaste décor montagneux, qu’on l’on envisage comme une immense cellule à ciel ouvert, c’est la solitude qui s’empare de ceux qui y vivent. Et pour ne pas sombrer dans un quelconque abîme de désespoir, c’est la vie, la progéniture qui pourrait donner un second souffle à une famille qui en fait son obsession.


Le silence, ou plutôt la nature, nous accueille avec un soupçon de liberté. C’est ce que l’on peut se dire en regardant la jeune Irene (Irene Virgüez), batifolant à travers les plaines, jusqu’à ce qu’un certain Javier (Javier Gutiérrez) la prenne sous son aile. Si l’on comprend que la situation se prête à la discrétion, elle ne reste pas confuse bien longtemps. La jeune adolescente est enceinte et fait le pacte de céder son enfant à un couple qui ne peut en avoir. Mais cette évasion a un prix, cela constitue un délit et c’est condamnable. Nous passons ainsi à la loupe la tendresse qui se dégage des hôtes, avec un Javier qui ne laisse pas la colère le submerger, tandis qu’Adela (Patricia López Arnaiz) dérive lentement vers la maternité toxique. Ce pari insensé est progressivement alimenté par une tension rigoureuse, où l’on dévoile les différents obstacles qu’Irene va rencontrer, alors qu’elle se questionne peu à peu sur sa responsabilité. L’instinct prend le dessus et parle souvent pour elle, qui n’a peut-être pas les épaules pour épouser la maturité, mais qui a toutes les compétences primaires d’une mère à l’affût.


La maison devient alors un sanctuaire de vie et de mort. Le silence s’abat comme un coup de fusil et un jeu de manipulation se met en place, au profit d’un argument malaisant. La grossesse va de pair avec le degré de danger qui guette la famille. Entre le petit ami, père de l’enfant, et une connaissance policière, qui traîne à faire le tour du logement, chacun tente d’exposer une vérité cachée. La double relation affectueuse entre Irene et ses hôtes devient le ressort d’une tragédie quelque peu prévisible, car le film s’est donné les moyens pour nous fournir toutes les cartouches assez tôt. Il faudra néanmoins douter dans une première heure terriblement efficace, hypnotisante et intuitive. Les ellipses ajoutent cette charge émotionnelle, qui justifie l’ascension d’une héroïne qui ne se laisse pas dompter. La jeune fille soutient l’idée qu’elle est libre de choisir sa voie et la garde de l’enfant. Sa spontanéité surprend souvent, car c’est bien ce personnage effrayé et séquestré qu’il s’agira de sonder.


En somme, « The Daugther » (La Hija) peut croiser la lourdeur à la lenteur, mais il saurait quand il faudra lâcher les chiens et laisser le récit prendre le dessus sur le spectateur sceptique. À la force des crocs et d’une détermination spirituelle, la jeune Irene découvre à la fois le fardeau et la beauté de sa condition. Dans un geste, aussi élégant que violent, le réalisateur espagnol illustre la folie, qui possède ses protagonistes, qui eux-mêmes la catalysent et la contiennent, jusqu’au dénouement. Chacun tente, à sa manière, de préserver le seul être innocent qu’il convient de chérir et dont la garde ne peut être partagée.

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le 14 avr. 2022

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