La Jeune Fille et les paysans
7.4
La Jeune Fille et les paysans

Long-métrage d'animation de Dorota Kobiela et Hugh Welchman (2024)

Loving Vincent est un film à part, qui est assez difficile à appréhender, et qui n'est pas passé inaperçu. A l'époque, malgré que j'avais déjà relever des problèmes dont on aura le temps de reparler, j'étais resté admiratif et fasciné par l'acte et la démarche derrière. Premier film à être nominé à l'Oscar du meilleur film d'animation en ayant été financé par des fonds s'appuyant sur le financement participatif, plus d'une centaine d'artistes peintre œuvrant pour faire un film d'animation peinture par peinture, c'était un coup d'éclat que l'on ne pouvait pas égaler. De par le traitement des peintures et de la vie de VinventVan Gogh, entre le postimpressionnisme et le symbolisme, l'animation et la peinture arrivaient avoir une vrai valeur ajouté, et je redoutais le jour où l'on proposerait un autre film suivant ce concept qui semblait être mort à peine après la sortie de Loving Vincent. J'avais donc un mauvais pressentiment quant à l'arrivé de The Peasants (La jeune fille et les paysans en français), nouveau long métrage du couple derrière Loving Vincent.


D'entré, le film sait très bien mettre en avant ses atouts. La peinture a l'air magnifique, les paysages sont somptueux, le casting est très bien trouvé (notamment dans les seconds rôles avec Miroslaw Baka qui joue le veuf Boryna ou même Robert Gulaczyk qui joue le fils Antek et qui portent tout deux le film ET avec une VF de qualité), les musiques sont magnifiques et sur le papier (on y reviendra plus tard), le film est très beau. D'un point de vue de l'écriture, on retrouve le même dispositif que dans Loving Vincent, avec un personnage central autour duquel le monde se déconstruit au fur et à mesure que celui-ci sera victime de la cruauté humaine. Ici l'on retrouve une jeune femme à la blondeur provocante, interprété par Kamila Urzedowska (qui tient très bien son rôle quoi qu'un peu timide par rapport aux figures qu'elle amène, ce n'est absolument pas la faute de Nadia Tereszkiewicz qui est bluffante en VF, surement l'un des meilleurs casting doublage depuis un bon bout de temps), qui fait rappeler des personnages que Margot Robbie a pu interpréter dans Once Upon a time in Hollywood ou Babylon. Plus que la ressemblance physique assez troublante entre les deux actrices, c'est la caractérisation du personnage et sa manière de symboliser une forme inconscience qui amène un parallèle entre cette femme de fermier et ces icônes fictive de cinéma. Jagna est une créative, toujours à découper des mandalas représentant ses rêves de liberté. Il y a ainsi un parallèle plus ou moins évident entre le récit de cette jeune femme et celui des icônes que l'on peut retrouver dans des films parlant des différents âges d'or du cinéma. Cela est renforcé par la mise en scène où l'on va retrouver des moments très esthétisés avec des jeux de lumières dominante aux couleurs primaires (rouge, bleu, ou vert) qui peut rappeler le travail que l'on peut avoir sur les films lives modernes, ou même des hommages à des films (que ce soit de manière indirect à travers une scène de danse, ou beaucoup plus direct lorsque l'on vient citer Jagten de Thomas Vinterberg lors d'une scène dans une église)... et c'est là où je rencontre mes limites avec le long métrage.


On voit la maitrise technique et la créativité dans la mise en scène, mais à aucun moment le dispositif de l'animation en peinture ne rend justice au travail accomplit. On sent une influence marqué des peintures de paysages naturaliste de la fin du XIXe comme Les Glaneuses de Millet (dont le film reprend trait pour trait la mise en scène lors d'un plan), et le dispositif fonctionne lors de plans larges ou des plans fixes avec peu, voire pas d'acteurs. Mais dès que le film rentre dans des scènes plus cinématographiques (lors de dialogues ou de scènes en mouvements rapproché), le dispositif devient gadget et franchement moche. Je mentionnais une scène de danse, il y en a une splendidement mis en scène, dans un mouvement circulaire perpétuel, le tout avec une lumière rouge qui amène une rondeur et une ambiance vraiment intime et claude... qui est gâché par l'aspect peinture qui n'a rien à faire là. Cette lumière rouge totalement irréel et cinématographique apporte déjà une forme de fantaisie et d'imaginaire, pourquoi ne pas se tenir qu'à cela ? L'intégralité des scènes ont été tourné en prise de vue réelle afin de faciliter le travail des peintres qui doivent peindre chaque scènes à la main, et plus le film avance, plus la frontière entre rotoscopie et filtre numérique se fait fine tant tout semble coller beaucoup trop près du réelle. On avait le même soucis dans Loving Vincent avec les scènes de flashback en noir et gris qui tranchait trop avec les phases dans le présent, mais ici on est à un point où l'on remet en cause l'honnêteté du dispositif. Dès qu'il y a un peu trop de mouvements, on a quasiment l'impression de voir un film en prise de vue réelle tant c'est précis (alors que cela devrait être les scènes les moins bien retranscrit, poussant à croire qu'ils ont réellement appliqué un filtre au lieu de tout repeindre à la main), mais on n'a pas la beauté de la prise de vue réelle car tout est aplati par ce qui ressemble de plus en plus à un filtre Instagram mal utilisé. Mais à côté de cela, il y a des scènes de dialogue à la mise en scène vraiment bas de gamme, au nombre de coupe infini, et au plans de moins en moins crédibles. Kit à vouloir rendre hommage à la peinture, pourquoi ne pas adopter l'intégralité des codes de mises en scènes de ces peintures et seulement garder que l'aspect esthétique ? A certains moments on a des jeux sur la profondeur de champ, et si certaines scènes arrivent à être intéressants, la majeure parti du temps on ne croit pas en la matérialité de la peinture. Il y a bien quelques transitions lorsque l'on passe d'une saison à l'autre, mais cela devient rapidement vain tant tout a l'air beaucoup trop moderne pour sa forme.


Maintenant un débat que l'on pourrait poser: Est ce que cela n'apporte vraiment rien ? Pas vraiment. Effectivement, la peinture permet de faire ressortir la rusticité de la terre, et certains moments sont sublimé par le travail de la peinture, notamment lors des scènes de pluie. Il y a tout un travail des textures qui est remarquable... mais qui aurait sans doute pu être possible en prise de vue réelle. Lorsque l'on voit des films comme Memories of Murder de Bong Joon Ho (pour le travail des corps sous la pluie), ou même Titane de Julia Ducourneau sur la manière de filmer le corps d'une danseuse comme du métal, il est difficile d'excuser l'utilisation de la peinture pour simplement mettre l'accent sur les textures. On pourrait excuser le film et la réalisation qui, factuellement, n'est pas tant mauvaise si l'on enlève les mauvais choix artistiques. Cela serait occulter le problème majeur du film: Le scénario est beaucoup trop long. On est amené à suivre la vie de cette jeune fille sur une année, chapitré par saisons. Chacune des saisons se conclut par un événement qui va marquer la suivante, et on suit la vie de ce village dont la routine devient très vite redondante, et dont les enjeux sociaux ne sont pas clairement exposé. On parle d'une force hiérarchique qui prend toutes les ressources du village, mais à aucun moment ou presque on ne ressent leurs présences autrement qu'à travers une scène de combat en hiver, ou la simple mention de ce que les paysans doivent verser chaque mois à leurs supérieurs hiérarchiques. On a bien la romance entre Jagna et Antek, mais "à cause des conventions" et de la réputation de Jagna, il faudra attendre que la neige tombe et qu'elle ai eu le temps de fondre pour avoir un dénouement à leurs relations... sur 2h. On se fait rapidement chier face à un film sans réel enjeux, dont son personnage principal peine à être crédible en femme en soif de liberté qui finit vite avec l'image de la demoiselle en détresse perpétuel, et on attend inexorablement quoi suivre et attendre. Chaque saisons sont longues, avec pas toutes des moments servant la narration, et chacune réutilise le même schéma où l'intégralité de la saison consiste à réagir à un moment fort de la saison précédente, les non-dit et les rumeurs sur les relations sentimentaux qui est le sujet de préoccupation n°1... on dirait de la télé-réalité. Cela en a l'aspect intrusif où la caméra se cache dans des coins de pièce pour filmer l'intimité des gens, on essaye de mettre en scène la réaction de chacun des membres du village à chaque événement, tous les codes ou presque sont là. Comment voulez-vous que l'on croit en la mise en scène de tableaux mouvant si l'on adopte des codes de la télévision moderne ? Tout cela pour raconter une histoire pas passionnante dont la fin n'est pas des plus passionnante.

C'est donc à travers un chemin de croix assez laborieux que l'on arrive au bannissement de Jagna par l'ensemble du village, persuadé par la folie et le désespoir qu'elle est maudite et qu'elle est la source de leurs malheur. Outre le fait que cela réutilise des codes et des faits historiques que l'on a déjà vu auparavant, notamment dans l'affaire Hautefaye en France, cette fin semble débarquer de nulle part tant tout le monde pète les plomb spécifiquement en été, sans qu'il y ait de signe avant-coureur, mis à part quelques mines basses sans trop de retentissement.

On arrive alors au bout du film avec l'amer impression que l'on n'a pas pu profiter d'un film intéressant qui aurait pu être raccourci de 20 minutes, et dont l'animation gâche presque la beauté du film. Je serais très intrigué de voir une prochaine réalisation du couple Kobiela Welchman mais en prise de vue réelle, je suis sûr que l'on aurait un très beau film.

8,75/20

N’hésitez pas à partager votre avis et le défendre, qu'il soit objectif ou non. De mon côté, je le respecterai s'il est en désaccord avec le miens, mais je le respecterai encore plus si vous, de votre côté, vous respectez mon avis.

Youdidi
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le 30 mars 2024

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