La jeune fille et son aigle
6.9
La jeune fille et son aigle

Documentaire de Otto Bell (2016)

Ce documentaire est un film nécessaire pour marquer la délimitation assez nette entre le travail d'un cinéaste s'emparant d'un sujet avec un oeil acéré et celui d'un réalisateur de télévision animé par une volonté d'esbroufe. On ne va pas se mentir, s'il est parvenu à s'immiscer dans nos salles obscures, c'est uniquement grâce à la néo-notoriété de sa productrice.


Drones, go-pros, timelipses, ralentis dégueulasses, passages lorgnant parfois sur le clipesque, la réalisation putassière n'hésite pas une seule seconde à sacrifier le sens et la cohérence de son récit pour entretenir l'érection visuelle de son spectateur. Sa construction s'assimile assez vite à celle d'une bande-annonce de 90 minutes surusant d'effets de suspens factices. Tout est traité avec une extrême superficialité. Le rythme du montage annihile toute tentative d'immersion dans les méandres du quotidien mongole. Il n'y a aucune prise sur la vie.


Le parti pris d'utiliser constamment des voix off est assez détestable. Les "personnages" semblent déconnectés de leur propre réalité. Sentiment bien renforcé par la dichotomie entre les images et le sens de leurs paroles. Seul le fait divers est au centre des attentions, leur quotidien étant réduit à un habillage de fond vaguement exotique. Même l'inutilité de la voix off de Daisy, bien que son accent soit toujours aussi irrésistible, n'apporte pas grand-chose au récit, mais renforce cette impression de distance.


Une scripted reality digne d'une chaîne à 3 chiffres en somme. Et le pire, c'est que je ne force même pas le trait pour le goût de la lolerie d'une critique incendiaire. Le réalisateur utilise les mêmes codes exécrables. À l'image de cette tendance à multiplier les raccords improbables, sans laisser aucun doute sur la nécessité induite de rejouer plusieurs fois certaines scènes. Ou encore de l'accompagnement musical, d'audio_courage.mp3 à big_danger_quick.wav, qui rajoute encore plus d'artifice dans l'artifice...


Le message central du film est beau et positif, mais le prisme idéologique qui le soutient écrase la complexité du contexte qui le nourrit. Tous les personnages sont ainsi réduits à un positionnement manichéen vis-à-vis de la thèse égalitariste portée. Les parents la soutiennent, les hommes sont hostiles à son arrivée dans leur cercle fermé et les femmes, muettes, prisonnière de leur condition sociale. Même Aisholpan, perds de sa substance pour se cantonner au rôle de "la première femme mongole à participer au concours de chasse". Je serais incapable de la définir autrement que par le caractère inédit de son exploit. Quid de ses aspirations, de sa personnalité, de ses doutes, de son être ? Rien, uniquement une machine à gagner venant bouleverser l'ordre patriarcal établit.


C'est d'ailleurs à l'approche du climax du film que le maladroit cocktail (montage surtravaillé + idéologie marquée) devient assez dérangeant. Je pense notamment à l'arrivée d'Aisholpan au concours de chasse. La juxtaposition entre la petite bouille de la jeune fille et des regards fermés des autres concurrents formerait un excellent cas d'école de l'effet Koulechov, au point de venir entacher le pacte de confiance du documentariste qui viendrait altérer la réalité rapportée pour nourrir son propos.


Dommage de voir une histoire aussi riche réduite à autant de consistances qu'une pub Always luttant contre les stéréotypes...

GigaHeartz
4
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le 3 mai 2017

Critique lue 461 fois

2 j'aime

GigaHeartz

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