Troisième incursion de Fulci dans le genre typiquement transalpin du Giallo après Perversion Story (Sull’Altra) en 1969 et Carole (Una lucertola con la pelle di donna) en 1971, La longue nuit de l’exorcisme (Non si sevizia un paperino) est un de ses films les plus intelligents et aboutis. Injustement conspué à sa sortie et encore sous-estimé de nos jours, il préfigure pourtant les thématiques qui jalonneront la carrière du maître et propose une expérience subversive s’affranchissant des carcans formels imposés par le genre pour dépasser le simple exercice de style.

Une série de meurtres visant des enfants crée une psychose à Accendura, un village perdu du sud de l’Italie. La police locale essaye tant bien que mal de traquer le tueur mais la vindicte populaire se fait de plus en plus pressante à mesure que les infanticides toujours plus violents se multiplient. Influencés par un mysticisme ambiant et sous l’emprise de l’église, les habitants en vase clos cherchent un coupable, n’importe quel coupable, alors que les pistes semblent se multiplier sans vraiment aboutir.

L’italien Lucio Fulci est souvent considéré par les amateurs de cinéma de genre comme ‘le parrain du gore’. Metteur en scène durant la seconde partie de sa carrière de films fantastiques présentant une violence extrêmement graphique, il est surtout connu pour avoir la main lourde sur les gros plans crados. C’est d’ailleurs dans cette discipline qu’il rencontrera ses plus grands succès dans les années 80, grâce à une série de films d’horreur particulièrement radicaux. On trouve parmi ses plus belles réussites de vrais films de viandars comme Frayeurs (Paura nella città dei morti viventi), La maison près du cimetière (Quella villa accanto al cimitero) ou le métrage considéré par biens des fans comme son chef-d’oeuvre : L’au-delà (E tu vivrai nel terrore – L’aldilà). Pourtant il serait bien réducteur de limiter la carrière de ce grand monsieur à un tas de tripailles harmonieusement répandues sur le sol ou à des explosions de boites crâniennes bien cadrées.

Non, Fulci est surtout un véritable artiste versatile et s’est essayé depuis les années 50 à de nombreux genres avec plus au moins de succès, mais toujours avec une grande liberté de ton et un réel savoir-faire en matière de mise en scène. J’essaierai donc humblement dans cette colonne, à raison d’un papier par semaine, de passer en revue une sélection de 5 oeuvres de ce grand artisan parfois mal connu et souvent déconsidéré. Débutons donc les hostilités par La longue nuit de l’exorcisme (Non si sevizia un paperino), excellent giallo atypique fêtant cette année ses 40 ans et considéré par Fulci lui-même comme son meilleur film. Attention, étant donné la nature du métrage analysé et malgré ma volonté de ne pas déflorer la résolution de l’intrigue, attendez vous à quelques spoilers. Vous êtes prévenus.

La longue nuit de l’exorcisme n’est pas un giallo classique. Contrairement aux oeuvres des maîtres du genre comme Mario Bava ou plus tard Dario Argento, point de décors urbains, de fioritures stylistiques à outrances ou de longues scènes de meurtres très chorégraphiées. Fulci choisit volontairement de se libérer de ces contraintes afin de mettre en avant les thématiques importantes du scénario coécrit avec Roberto Gianviti et Gianfranco Clerici. Car nous sommes là face à un film très controversé ayant provoqué un véritable tollé en Italie lors de sa sortie en salle en 1972. Très peu diffusé en Europe et jamais sorti aux Etats unis, ce n’est qu’au début des années 2000 que le film sera visible par le plus grand nombre grâce à une sortie DVD édité par Anchor Bay. A la lecture du synopsis on pourrait croire que ce scandale est du aux meurtres de jeunes garçons perpétrés tout au long du film mais il n’en est rien. Fulci préfère délaisser les effets chocs pour livrer une mise en scène pudique et intelligente ne plaçant jamais le spectateur en voyeur malsain.

Ce qui a secoué l’Italie des années 70 c’est plutôt ce désir de transgression et cette attitude de défiance vis à vis des fondements catholiques et mystiques de la culture italienne bien présents dans La longue nuit de l’exorcisme (qui n’a par ailleurs absolument rien à voir avec un quelconque exorcisme, les mystères de la traduction…). En créant une toile de fond si importante et prédominante, Fulci ne cherche pourtant pas bêtement à blâmer les institutions (l’Église catholique, le gouvernement, les médias) mais plutôt à identifier les différents culturels et le manque de communication qui permettent ces excès. L’objectif de l’auteur est ici de localiser un mal intangible, résultat d’un mélange malsain entre mysticisme païen, religion et goût du ragot morbide. Le réalisateur semble suggérer que si un fautif doit être trouvé dans cette affaire de meurtres, la responsabilité doit alors être partagée par ceux qui masquent involontairement la vérité et agissent en égoïstes sans penser au innocents.

Nous sommes donc face à un film relativement subversif et structurellement très rigoureux comparativement à la plupart des gialli réalisés dans les années 70. Le récit s’appuie sur un contexte solide et des enjeux dramatiques clairs empêchant toutes dérives formelles à base d’impressions visuelles abstraites ou de fulgurances graphiques trop poussées. Pourtant la maîtrise technique de Fulci et de son chef opérateur Sergio D’Offizi est visible à de nombreuses reprises, que ce soit par le biais d’audacieux plans en Split Focus ( une technique rapprochant deux personnages situés sur des plans différents grâce à une manipulation optique, qui sera plus tard fréquemment utilisée par Brian De Palma ), d’un jeu constant sur la profondeur de champ ou de cadrages méticuleux. Le décor incongru du village surplombé par une autoroute, symbolisant à lui seul la rencontre du monde rural et du monde moderne, est lui aussi magnifié par une très belle photo de jour comme de nuit. Enfin Fulci se permettra tout de même quelques fantaisies propres à son style et grandement appréciées par ses fans : des cadrages excentriques aux angles obliques, de très gros plans regards soulignés par des zooms rapides et quelques effets de transparences psychédéliques du meilleur goût.

Mais le véritable tour de force du film en matière de mise en scène réside sans aucun doute dans cette sublime et tétanisante scène de lapidation à coups de chaîne dans un cimetière. Admirablement découpé et monté, ce morceau de bravoure a pour particularité d’avoir pour bande son diégétique la très belle chanson ‘Quei giorni insieme a te’ composée par le génial Riz Ortolani et offrant un contraste glaçant avec la violence des images présentées à l’écran. Une brillante idée que l’on retrouvera dans La dernière maison sur la gauche de Wes Craven lors de la mort de Mari ou plus récemment dans le Reservoir Dogs de Quentin Tarantino pendant la séquence de tortures perpétrées par Mr. Blonde. Tout dans cette scène montre la maestria de Fulci et sa compréhension totale du langage cinématographique. Le jeu des acteurs, les FX latex bien dégueulasses, les mouvements de caméras et le rythme impeccable du montage s’allient ici harmonieusement afin de créer l’atrocité la plus cinégénique qui soit. Un grand moment de cinéma d’horreur démontrant à lui seul que la réputation de maître de l’horreur de Fulci n’est pas usurpée.

La distribution de La Longue Nuit de l’exorcisme est tout aussi solide. Tomas Milian ( qui retravaillera avec Fulci sur Quatre de l’Apocalypse ) interprète un journaliste tout à fait convaincant, totalement mené par le bout du nez par la sublime actrice allemande Barbara Bouchet, qui incarne citadine ancienne toxicomane et vaguement nymphomane au charisme indéniable. On notera également un caméo éclair de l’acteur français Georges Wilson, papa de Lambert et ami de Fulci. Mais le joyaux de ce casting est vraiment incarné par l’actrice brésilienne Barbara Bolkan dans le rôle de Marciara. Belle, sauvage et sérieusement siphonnée, ce personnage fascinant demeure le plus intéressant et étoffé du métrage. Le jeu physique et intense de Bolkan vend parfaitement cette sorcière pourtant très caricaturale sur le papier. Une interprétation globale homogène et de qualité donc, ce qui n’est malheureusement pas une constante dans la filmographie de Fulci, loin de là.

La longue Nuit de l’exorcisme représente bien un des pinacles de la carrière de Fulci. Giallo hors normes au propos mature et à la facture plastique irréprochable, il renferme certaines des plus belles scènes imaginées par le maître durant ses 32 ans de carrière. Film sombre et sensible ne cédant jamais à la facilité, il présente une vision très personnelle sans concessions prouvant par la même que Fulci est tout sauf un tâcheron bas du front indigne d’être comparé à Argento ou Bava, comme le prétendent ses détracteurs. C’est aussi un film important dans sa filmographie, une oeuvre charnière marquant le début d’une période d’effervescence créative jalonnée de jolis succès artistiques et financiers.
GillesDaCosta
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le 30 déc. 2012

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Gilles Da Costa

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