L’aura de film choc de La mauvais Education n’a pas faiblie depuis sa sortie en salles (2005). Mais ce choc n’est pas vraiment volontaire, le film contenant les ingrédients « classiques » du cinéma d’Almodovar. Portraits sans retenue, narration virtuose (les récits s’entremêlent, mettant en valeur le jeu de chaque acteur), suivi sur la longueur, avec cette empathie totale pour les marginaux. Même sur l’approche de la sexualité, mais nous allons y revenir. La mauvaise Education marque tout d’abord des points en abordant de front un sujet tabou et odieusement cliché : le personnage du prêtre pédophile. Dans le genre puritanisme moral, le film aurait pu sombrer dans la parodie beaufisante abjecte. Ce n’est pas le cas, et d’ailleurs, rarement un cliché aura été aussi nuancé (pas vraiment nuancé, mais le film a ce don de capter les images fortes (la voix d’ange d’Ignacio se démarquant des autres pendant la messe, le repas d’anniversaire de Manolo…). Et surtout, le film laisse à Manolo le soin de s’exprimer, chose qui n’avait jamais été faite (à l’exception du miraculeux Woodsman). Là où le film se révèle davantage subversif, c’est dans son approche des sentiments amoureux. La pédophilie est traitée sur le même registre que l’amour qu’entretiennent les deux enfants. Et dans les deux cas, celui-ci passe par le sexe. C’est une caractéristique du cinéma d’Almodovar : dès que des sentiments amoureux s’expriment, le sexe apparaît de façon spontanée et presque immédiate. Pour la pédophilie, c’est expéditif, mais ça peut passer. Mais quand il en est de même pour deux garçons de 12 ans (séance de masturbation vice-versa), il y a un certain bond. Cette association sexe-sentiments, habituellement plus diluée, est particulièrement criante (elle est finalement à l’image des portraits que dresse Almodovar : dépourvue de pudeur). C’est en bonne partie ce qui fait le trash du film, et qui marque un point d’orgue sur la façon d’envisager le sexe dans le cinéma de Pedro.

Le film fait également du petit enfant abusé un transsexuel définitif (dont l’amour des hommes pourrait avoir déteint sur son frère), validant indirectement le cliché de la victime perturbée par ce qu’elle a vécu au point d’en vivre un conflit identitaire extrême (c’est à partir des évènements de l’internat que tout change pour Ignacio). Personnage qui finit d’ailleurs junkie et dont la sortie de script se révèle minable (le portrait n’est même pas mauvais, non, il ne laisse aucune chance, c’est tout). Mais le cliché n’effraye définitivement pas Almodovar, qui compte sur ses acteurs d’exception pour transcender le récit. En l’état, La mauvaise Education est tout simplement une merveille de jeu d’acteur, où chaque personnage maîtrise parfaitement son rôle. Et la narration s’amuse d’ailleurs avec les codes du cinéma, puisque les souvenirs auxquels nous assistons… sont en fait les scènes tournées par nos deux protagonistes dans leur film reconstituant les évènements. D’ailleurs, la révélation du film (c’est le frère d’Ignacio qui, par amour pour ce dernier, décide d’adapter son histoire et de jouer son rôle en se travestissant), poignante, marque bien ce goût d’Almodovar pour allier cinéma et intensité sentimentale (la fin tragique du film, réécrite et enlevant à Ignacio le happy end qu’il n’aura jamais eu dans la réalité, est bouleversante, transcendée d’ailleurs par la performance de Gael Garcia Bernal, tout juste éblouissant dans ce rôle de frère soucieux de rendre justice à son aîné, dont il reprend d’ailleurs au passage la vie entière (il fréquente finalement les mêmes personnes, développe les mêmes sentiments, comme si il voulait le remplacer). En ajoutant à cela une facture technique impeccable et un récit riche en sentiments, qui se livre totalement à son public, sans la moindre retenue, ce qui est finalement le meilleur moyen de nous faire apprécier ses personnages. Encore un joli drame qu’Almodovar exécute avec un savoir faire accompli, non sans hélas provoquer quelques turbulences sur son passage.

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le 2 déc. 2013

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Voracinéphile

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