Étude réalisée dans le cadre d'un travail d'archives. [Je réaliserai la mise en forme et inclurai les fichiers ultérieurement]


La Merveilleuse Vie de Jeanne d'Arc, fille de Lorraine est un film dramatique et historique sorti en France le 1er novembre 1929, d’une durée de 125 minutes. Il s’agit d’une production franco-allemande de Bernard Natan, réalisée par Marco de Gastyne (1889-1982), ancien peintre devenu décorateur pour le cinéma, puis réalisateur de 20 longs-métrages, parmi lesquels Une belle garce en 1930, son premier film parlant et son plus grand succès commercial.
La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc, fille de Lorraine est une biographie évoquant la vie de Jeanne d'Arc, de sa naissance à Domrémy en 1412, son entrevue à Chinon avec Charles VII et le couronnement de ce dernier, jusqu'à sa mort sur le bucher à Rouen en 1431. Le récit de cette héroïne de l'histoire de France a jusqu’alors été adaptée deux fois en longs-métrages : un premier en 1916 par l’américain Cecil B. DeMille (Jeanne d’Arc), et une deuxième en 1928 par le danois Carl Theodor Dreyer (La Passion de Jeanne d’Arc, produit en France). Il a nécessité un budget proche de 8 millions de francs. Le film est restauré en 1990 et sort en cassette VHS en 1995 aux éditions René Château, mais n'a à ce jour pas été édité en DVD.
Le corpus est composé de 6 documents :
• Une plaquette de présentation rédigée en allemand par l’historien Daniel Otto en 1990 ;
• Un lot de photographies de tournage non daté ;
• L’accompagnant, une affiche de l’époque – ces trois documents sont conservés aux archives de la salle Richelieu de la Bibliothèque Nationale de France ;
• Une lettre du comédien Mario Nasthasio en destination d’Alexandre Kamenka, rédigée en 1928 ;
• Le scénario du film, d’après Jean-José Frappa, rédigé par Jean Petithuguenin – ces deux documents sont conservés dans l’espace chercheur de la Cinémathèque française - ;
• Un article de la revue L’Écran illustré rédigé pour un numéro publié en 1927, et disponible sur la plateforme Virtuose + ;
• Enfin, un article de la revue L’Œuvre publié le 26 avril 1929 traitant du film, et disponible sur la plateforme Retronews (site de presse de la Bibliothèque nationale de France).


Dans quelle mesure ce document reflète-t-il l’ambition de Marco de Gastyne à confronter la figure de Jeanne d’Arc au film de guerre ? Nous nous intéresserons dans un premier temps à une mise en scène adaptée à l’Histoire, avant de nous concentrer sur l’écriture du film, très ancrée sur le portrait de son héroïne.


Le film de Gastyne se démarque, premièrement, par sa mise en scène et sa démarche pour adapter l’Histoire sur grand écran.
Effectivement, la plaquette de présentation signée Daniel Otto débute par une lettre de l’auteur en destination de l’actrice interprétant le rôle-titre, Simone Genevois, dans laquelle il expose son souhait de « donner à un film muet injustement oublié la critique et la notoriété qu'il mérite ». Il tire toutes les présentes informations d’archives parisiennes trouvées durant deux années de recherche. Selon l’introduction dudit document, le tournage de La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc débute lorsque Gastyne, prétendant y voir un passe-temps aux côtés de la peinture, signe des contrats annuels avec Natan, à l’été 1927. Très ambitieuse, la production de De Gastyne est en fait un film d’action, dans son rapport à la Première Guerre mondiale. Étant sorti dix ans après la fin de la guerre, De Gastyne s’est en effet inspiré de son expérience pour reconstituer toute la violence au sein de scènes de bataille d’un récit se déroulant cinq siècles plus tôt. Au sujet de la collaboration entre le cinéaste et le scénariste Jean-José Frappa, l’historien décrit leur collaboration comme étant « on ne peut plus appropriée ». En effet, elle est décrite en ces mots : « D'une part, il avait des années d'expérience dans la profession et, d'autre part, il ne cachait pas ses sentiments profondément nationalistes dans ses ébauches grandiloquentes et pathétiques. Son idée perfide de vouloir utiliser le film pour aborder le passé récent de la France et les batailles victorieuses de la Première Guerre mondiale, il s'est assis face à l'âpre résistance du réalisateur Marco de Gastyne nommé par [Bernard] Natan. De Gastyne, lui-même chasseur de pierres de la Seconde Guerre mondiale, […] n'avait certes pas en tête de telles références ». A ce sujet, L’Œuvre rédige : « Si l’œuvre était grande et belle, la tâche était difficile. M. de Gastyne se mit à l’ouvrage et, durant deux années, il travailla, s’attachant à recréer le vrai visage de Jeanne, à le placer dans son cadre exact sans entacher sa composition d’anachronismes ou d’erreurs historiques toujours regrettables […] le scénario […] et ses longs mois de labeur nous valurent ce film que n’inspira nul esprit d’un nationalisme outrancier et qui fut salué avec enthousiasme […] ».
Le tournage eut traditionnellement lieu dans les studios parisiens sur la Seine, faisant ainsi concurrence aux résidents de longue date. L’article tiré des colonnes de L’Écran illustré, se concentrant sur le tournage du film, nous apprend par ailleurs que « pour [celui-ci], il fut nécessaire de faire appel à une importante figuration dont la majeure partie fut représentée par un détachement de trois cents dragons venus d’Epernay par la route et d’un égal nombre de fantassins envoyés du camp de Châlons à cet effet ». Également, afin de rendre aussi authentique que possible l'illustration d'une « page de l'histoire » de la France, De Gastyne a tenu à enregistrer en studio et ne tourner que sur les lieux d'origine. Néanmoins, puisque des lieux historiques comme Orléans et Rouen ne pouvaient servir de décor à une action au Moyen Âge, De Gastyne est parti à la recherche de lieux alternatifs appropriés pour sa mise en scène. Finalement, le film fut tourné au Château de Pierrefonds (dans l'Oise), à Carcassonne (dans l'Aude) , à Aigues-Mortes (dans le Gard), au Mont Saint-Michel (dans la Manche), en la basilique de Vézelay (dans l'Yonne) et à Carennac (dans le Lot). Autre détail qui souligne encore l'intérêt de ce film : c'est le seul dans lequel le cortège du couronnement de Charles VII a été tourné sur les lieux historiques, à la cathédrale de Reims, comme nous le fait savoir la plaquette de présentation de Daniel Otto. De Gastyne ne « voulait pas de décors en carton-pâte » nous le rappelle l’article édité par L’Oeuvre. Également, L’Écran illustré nous fait savoir de surcroît l’ambition du film en rédigeant, que « pour la première fois en France, pour les besoins d’un film, l’autorisation fut donnée au metteur en scène de déplacer un monument public. La statue de Jeanne d’Arc ornant la place du Parvis fut retirée de son socle et transportée dans les jardins entourant la cathédrale […] pour la coquette somme de 9000 francs ». L’article de L’Ecran illustré nous fait savoir que « pour la première fois en France, pour les besoins d’un film, l’autorisation fut donnée au metteur en scène de déplacer un monument public. La statue de Jeanne d’Arc ornant la place du Parvis fut retirée de son socle et transportée dans les jardins entourant la cathédrale […] pour la coquette somme de 9000 francs ». Puis, l’article rédigé par L’Œuvre nous fait savoir : « Les environs de Mazamet survirent de champ de bataille. Dans la plaine on fit évoluer la cavalerie. On y enregistra aussi les derniers gestes des mourants et l’on y voit Jeanne se pencher sur des soldats crispés par l’ultime douleur ». L’Écran illustré indique que les acteurs incarnant « les soldats […] furent armés qui de lances, qui d’arbalètes et de piques », prouvant là l’authenticité du matériel utilisé.


Au sujet des conditions de tournage, Daniel Otto témoigne, citant De Gastyne : « Les enregistrements dans l'abbaye ont pris fin en mai. Des enregistrements à Pierrefonds et près de Strasbourg ont suivi jusqu'en septembre. « Nous avons filmé une bataille dans une vallée près de Strasbourg. Là, il a plu sans interruption pendant 15 jours et à la fin tous les dortoirs étaient rouillés ! Mais nous n'avions que deux hommes à nettoyer et huiler... ». Au-delà de ce qui a été filmé, l’équipe s’est ainsi retrouvée dans de véritables conditions de guerre, rendues difficiles de surcroît par le mauvais temps. Pour justifier ce qui a fait de l’ombre à ce film, l’historien rédige : « A bien des égards, La Merveilleuse Vie de Jeanne d'Arc est victime de son temps et de nombre de circonstances malheureuses. Au milieu du tournage, un film en compétition sur le même thème est créé le 21 avril 1928 : La Passion de Jeanne d'Arc de Carl-Theodor Dreyer […] qui se concentre uniquement sur le procès et l'exécution des saints […] et il a créé l'un des films expérimentaux les plus chers de son temps, qui a dépassé le goût du public : les dispositifs stylistiques qui étaient révolutionnaires pour les circonstances de l'époque, comme les longs travellings, plans bruts et acteurs non décorés, n'ont été reconnus que des années plus tard et y ont contribué, entre autres le fait que le film a été déclaré à titre posthume chef-d'œuvre d'avant-garde. » Le film de Dreyer exploite en effet des techniques de film parlant, ce que nous ne retrouvons guère dans le film De Gastyne, plus spectaculaire, ce qui ne l’a guère empêché de remporter un grand succès, en témoigne l’acteur Mario Nasthasio, émetteur d’une lettre en destination d’Alexandre Kamenka, créateur de la société des Films Albatros : « […] Depuis dix-huit ans, je travaille dans cette branche de qualité d’artiste, ce qui me permet d’espérer que je ne vous suis pas totalement inconnu. Je viens de terminer, avec M. de Gastyne, le rôle du Duc de Warwick, dans le film de Jeanne d’Arc […] ». « Avec André Conti, qui l'a soutenu financièrement, il a initié la reconstruction de son chef-d'œuvre La Merveilleuse Vie de Jeanne d'Arc par la Cinémathèque française sur, et a personnellement aidé les restaurateurs dans leurs recherches », dit la plaquette de présentation. L’Œuvre définit la couleur du film en ces termes : « Un style cinématographique simple et clair ».
Le film de Gastyne se distingue, secondement, par une écriture à la proximité historique singulière.
La plaquette de présentation rédigée par à l’occasion de la restauration du film introduit le paragraphe consacré au casting par Simone Genevois ; elle aurait été sélectionnée parmi un casting de plus de 400 candidates. Effectivement, l'essentiel du film repose sur elle : de toutes les actrices à avoir interprété la Pucelle d’Orléans, elle est la seule à avoir l'âge du rôle, c’est-à-dire 17 ans. Au contraire, concernant La Passion de Jeanne d’Arc, « pour le rôle principal, [Dreyer] a choisi la comédienne de théâtre Maria-Jeanne Falconetti, qui à 38 ans en tant que Jeanne semble beaucoup trop vieille […] ». De même, bien que « sa prestation [soit] injustement oubliée », l'actrice, « qui a l'âge et l'énergie de son héroïne », incarne « une des plus belles Jeanne de l'écran », affirme l'historien François Amy de la Bretèque. Chez De Gastyne, nous sommes plongés en plein cœur de sa facette « guerrière », ayant contribuée à inverser le cours de la guerre de Cent Ans. Jeanne d'Arc nous est montrée dans toute sa force, pour autant, son humanité, ses faiblesses et sa sensibilité de jeune fille ne sont guère délaissés. L’ouverture du film, par exemple, nous présente une Jeanne très pieuse. Elle se rend à l'église pour prier, et se retrouve nez-à-nez avec un binôme de saintes, probablement de Sainte Marguerite et de Sainte Catherine, l’encourageant à guerroyer. Mais encore, la scène de la marche vers le bûcher et la mort horrible de la condamnée, où, terrorisée par sa mort imminente, elle surmonte sa peur en priant Dieu. La caméra n’oublie pas de passer dans son regard. Selon L’Œuvre, très enthousiaste au sujet de la jeune comédienne, « Elle joint aux grâces de l’adolescence celles d’un esprit arrivé à maturité qui regarde la vie sérieusement, gravement […] Nous retrouvons dans l’adaptation de M. Marco de Gastyne le vrai visage de Jeanne. Devant ses juges même, elle conserve la tranquillité qui amène sur ses lèvres un sourire ingénu, reflet de son âme pure. Ce n’est point une héroïne au regard sombre, au geste théâtral. C’est l’humble fille de Lorraine celle que nous aimons, loin des effigies conventionnelles des sculpteurs sulpiciens ». Dans ce même article, est inclut un témoignage du scénariste Frappa : « C’est parce qu’elle était gaie, […] que son visage illuminé de foi restait toujours rayonnant […] qu’elle savait héroïque et inspirée, demeurer simple et familière, parce que l’ironie s’échappait de ses lèvres en boutades où l’on retrouvait la finesse champenoise et le bon sens lorrain, c’est pour tout cela que Jeanne conquit son armée, la France et le monde entier, puis, en fin de compte, l’immortalité ».


Daniel Otto justifie l’échec cuisant du film de la façon suivante : « En tant que production de suivi, le Jeanne d’Arc de De Gastyne a été comparé au prédécesseur. Puisque [son film] a été un succès commercial et a rapporté les immenses coûts de production de 8 à 9 millions de francs, les critiques et les historiens l'ont méprisé comme un film commercial et l'ont mis dans l'ombre de la production de Dreyer. Aucune critique d'aucune sorte dans l'historiographie du film n’a été rédigée et fait qu’il a été complètement oublié. Même dans l'œuvre en cinq volumes de Georges Sadoul, on ne peut distinguer que trois lignes sur le film. On peut supposer que l'auteur ne l'a jamais vu, car une autre raison du manque de considération pourrait être que le film est peut-être moins connu : A la sortie de La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc en novembre 1929, les premiers films sonores étaient déjà projetés dans les salles ». Ce film serait ainsi l’une des dernières superproductions françaises réalisées au cours de l’ère du muet.


Ainsi, nous avons pu découvrir à travers ce document une œuvre relativement différente de toutes celles réalisées jusqu’à présent sur la figure de Jeanne d’Arc. Nous avons effectivement affaire à un pur film d’Histoire, dont les images ont souvent recours à une pure violence visuelle. Le culte autour de la Pucelle d’Orléans donnera par la suite, de décennie en décennie, de nouvelles adaptations cinématographiques, toutes marquées par des visions bien distinctes des faits, et plus ou moins fidèles aux grandes lignes. Nous pouvons à présenter nous interroger sur la pertinence de celles-ci, dans leur rapport à l’Histoire. Dans les colonnes du New York Times du 22 novembre 2021, la journaliste Maureen Dowd a écrit : « [Jeanne d'Arc […] brûle toujours dans l'imaginaire français] ».


Sources :
- Daniel OTTO, « La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc, un film français Aubert », plaquette de présentation, 1927, cote 4-ICO CIN-12183 (BnF)
- Lot de photographies, non daté, cote 4-ICO CIN-3589 (BnF)
- Affiche, 1928, IFN-9007676 (BnF)
- Mario NASTHASIO, « Dossier d'archives », Société des Films Albatros, Alexandre Kamenka, 1928, cote: ALBATROS287-B24 (Cinémathèque française)
- Jean PETITHUGUENIN, « La Merveilleuse vie de Jeanne d'Arc, sous-titre : d'après le scénario de Jean-José Frappa », 1930, HL 2882 (Cinémathèque française)
- Collectif, « La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc », L’écran illustré, hebdomadaire, 2017 (consulté sur Virtuose+)
- Auguste NARDY, « La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc film réalisé par M. Marco de Gastyne d’après le scénario de M. Jean-José Frappa pour les Productions Natan », L’Œuvre, 26 avril 1929, conservé sur Retronews (https://www.retronews.fr/journal/l-oeuvre/26-avril-1929/361/2517841/6?from=%2Fsearch%23allTerms%3Dla%2520merveilleuse%2520vie%2520de%2520jeanne%2520d%2527arc%26sort%3Dscore%26publishedBounds%3Dfrom%26indexedBounds%3Dfrom%26page%3D1%26searchIn%3Dall%26total%3D196147&index=0)
- Lien pour voir le film : https://www.youtube.com/watch?v=iuLTPAf2ESA

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le 5 juin 2022

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