Ancien joueur de tennis à un modeste niveau de club, mais surtout passionné de tennis dévorant depuis 37 ans les revues consacrées à mon sport préféré, je connaissais une partie de l'histoire des sœurs Williams et de leur père. Voir Venus et Serena figurer au générique n'était pas pour me rassurer, mais la curiosité a fini par l'emporter.
Les petites ou grandes inexactitudes ou omissions sont nombreuses dans le film, et je crois nécessaire de rétablir quelques vérités à propos de la jeunesse des sisters.
Commençons par la fin, car c'est, paradoxalement, le moins important. Le tournoi d'Auckland qui clôt le film ne s'est pas disputé en extérieur, c'était un tournoi en salle, sur une surface rapide plutôt idéale pour une jeune Venus Williams devant affronter la renvoyeuse infatigable qu'était Arantxa Sanchez. Cette dernière n'était d'ailleurs pas la n°1 mondiale comme l'indique le film, mais la n°2, elle a accédé au trône deux mois plus tard, après l'open d'Australie.
Arantxa Sanchez n'a pas pu aller aux toilettes pendant 10mn à un moment du match (3/1 dans le deuxième set) où les deux joueuses ne changeaient pas de côté, car c'était strictement interdit. Elle est bien allée aux toilettes, mais un jeu plus tard, à 3/2, et elle n'y est pas restée 10mn. La mise en scène nous montre une n°1 mondiale en perdition contrainte à une pause excessivement longue pour casser le rythme adverse afin de cocher les cases d’un happy end à la sauce Hollywood. L'Espagnole a bien gagné sur le score de 2/6 6/3 6/0, mais elle n'a pas eu besoin pour cela d'avoir recours à un comportement antisportif. Quoi qu'en disent ou écrivent Venus, Richard ou Rick Macci.
Certaines omissions ne peuvent être involontaires. Une, notamment, modifie en profondeur le regard que l'on aura sur la trajectoire de Richard Williams et de sa progéniture. A la naissance des deux sœurs, la famille vivait à Long Beach, une banlieue cossue de Los Angeles. C'est le choix du père de déménager vers Compton, l'un des endroits les plus dangereux au monde, gangréné par les trafics, la détresse sociale et les règlements de comptes à balles réelles. Venus et Serena n'avaient pas le droit de s'asseoir pour reprendre leur souffle pendant les entrainements avec leur père, en revanche elles avaient le droit de se coucher lorsqu'une fusillade éclatait. Le film, qui se veut le portrait inspirant de deux adolescentes utilisant leur talent raquette en main pour échapper à l'horreur du ghetto où elles grandissent, oublie délibérément de préciser que c'est leur propre père qui avait décidé de les y mettre afin de les endurcir...
Le film ne précise d'ailleurs pas non plus que leur sœur aînée Yetunde, la seule de la fratrie à rester à Los Angeles pour y poursuivre ses études, est devenue infirmière. Mère de 3 enfants, elle a récolté - et succombé à - une balle perdue à Compton, en 2003, à l'âge de 31 ans. En installant toute sa famille à Compton, quelles étaient les chances pour que Richard Williams devienne le père de deux championnes de tennis ? Et quelles étaient les chances pour qu'un membre de sa famille (ou lui-même, d'ailleurs) se fasse assassiner ? La perspective de voir son rêve se concrétiser méritait-elle de mettre ainsi en danger toute sa famille ? Autant de questions que le film n'esquisse même pas mais qui ne sont pas neutres, à moins de considérer Yetunde comme un élément du décor et sa mort tragique comme un dommage collatéral...
Pour autant, tout n'est pas à jeter dans ce film, loin de là.
A commencer par la réflexion sur l'élément le plus difficile à croire de l'histoire et qui n'en est pas moins authentique, le choix du père de ne pas inscrire ses deux filles dans les tournois juniors. La pression du résultat, les appétits des sponsors, le sacrifice des études et de la vie familiale, Richard Williams a épargné tout cela à ses deux filles. Car il voulait leur laisser leur jeunesse. Mais aussi par son obsession de ne dépendre de personne, qui est un fil rouge du personnage et du film. Venus et Serena Williams sont uniques sur au moins un point, celui d'avoir déboulé directement sur le circuit professionnel sans avoir disputé le moindre match au cours des années précédentes. Ce qui rend d’autant plus exceptionnelle la performance de Venus à Auckland !
Autre bon point, le film mentionne, pour le coup avec justesse, la trajectoire brisée de Jennifer Capriati. Le montage narratif du film fait coïncider les pressions extérieures sur Richard Williams pour qu’enfin il accepte de faire jouer des matchs à ses filles, avec le reportage télévisé sur l’arrestation de Jennifer Capriati pour détention de marijuana. King Richard a choisi de ne jamais sacrifier les études de Venus et Serena, et de les laisser à l’écart du gigantesque appareil marketing qui multipliait les appels du pied dans leur direction. Ce même appareil marketing qui avait accentué la pression sur Capriati, en la plaçant à 14 ans à la tête d’une fortune colossale, puis l’avait totalement lâché en rase campagne alors que Jenny craquait complètement sous la pression. Richard Williams avait compris, mieux que d’autres, que les personnes tournant autour de Venus en lui faisant miroiter des sommes ubuesques n’avaient en réalité aucune bienveillance à son endroit et ne voyaient en elle qu’une machine à cash. Son histoire personnelle le conduisait sans doute à un soupçon naturel à l’endroit d’un univers, celui du tennis, particulièrement riche et blanc.
En ce qui me concerne, je sors de La méthode Williams avec l’impression mitigée d’avoir assisté à un hommage des deux sisters à leur père, rien de plus, rien de moins. Leur sensibilité propre n'apparaît presque pas dans le film, elles semblent avoir simplement cru sur parole leur père et avoir eu confiance en leurs propres capacités. Que serait-il arrivé si l'une des deux avait manifesté le désir de faire du théâtre plutôt que du tennis ? Richard Williams aurait-il réussi à s'arrêter avant de la détruire, comme tant de parents l'ont fait et continuent à le faire ?
Au regard de tout ce qui s’est passé ensuite, cette histoire familiale peu commune reste une magnifique occasion d’interroger les méthodes de fabrication d’un champion, lesquelles ont fonctionné, lesquelles ont fonctionné avec une poignée d’enfants prodiges mais en ont broyé et détruit beaucoup d’autres, quels sacrifices sont nécessaires pour accomplir une telle trajectoire et ces sacrifices ont-ils un sens. Je ressors de La méthode Williams orphelin d’un film qui aborderait en profondeur ces questions, ce n’était manifestement pas ce film-là.