En pleine Guerre froide, Alfred Hitchcock donne crédit à la paranoïa américaine dans La Mort aux trousses. Un publiciste casanier, Roger Tornhill (Cary Grant), se voit impliqué contre son gré dans une machination secrète qui le dépasse. Faire d’un protagoniste commun le héros d’une intrigue singulière aide à la catharsis et à l’émotion. Durant la première moitié du film, Tornhill se débat pour convaincre sa mère et la police de son innocence. L’incroyable embourbement dans lequel se confond Tornhill nous plonge dans une hallucination à l’issue impossible. Hitchcock, manipulant son sujet, entretient, un vrai jeu avec le spectateur, le mettant tantôt dans la confidence de l’intrigue tantôt non.
C’est ainsi, notamment, que le mystère du personnage de Kaplan reste longtemps un moyen de spéculations pour le spectateur avant que d’être révélé. La dialectique hitchcockienne fait son plein effet. Ce qui est fascinant chez Hitchcock, c’est la façon dont le cinéma dispose d’une grande force sous le vernis apparent d’un (excellent) film de divertissement. L’œuvre peut très bien s’aborder comme un film classique aux rouages usés d’avoir trop servis. Ce serait toute fois évincer la grande puissance que le film contient. Car c’est aussi et surtout, en vue de l’ingénieuse conclusion, une histoire d’amour dont le déroulement se pare d’évènements extraordinaires pour traduire les difficultés de la séduction. Ce qu’il y a de plus hitchcockien demeure là, hormis la mise en images de ses thèmes de prédilection, son humour caustique britannique.
La scène d’ivresse, à l’allure potache, est un exemple flagrant de l’humour du cinéaste et de sa cinglante imagination. Or ce n’est ni dans l’humour, ni même dans le traitement narratif qu’il voir la grande réussite du film, ce n’est pas totalement dans Hitchcock que l’œuvre s’accomplit. Bernard Hermann et sa composition ordonnent la maîtrise du spectateur par les sons. Ôtez le son et les images délaissent de leur charme angoissant.