Film de genre français au scénario plébiscité (peaufiné en résidence SoFilm et un des trois finalistes de l’appel à projet de films de genre du CNC), sélectionné à l’assez élitiste semaine de la critique – comme le bijou Grave en 2016, la vache ça passe vite – et porté par un primo-réalisateur aux courts-métrages remarqués, surtout Acide et son nuage tueur, La nuée déboule, comme il peut 2020 oblige, en charriant de grands espoirs. Car la nouvelle vague du genre à la française promise après l’ouragan Julia Ducournau (Grave, bientôt Titane) se fait toujours attendre, et ce ne sont pas les polis Jessica Forever, Dans la brume, Revenge ou La nuit a dévoré le monde qui nous ont marqué la rétine au fer rouge du chef d’oeuvre intemporel (c’était bien quand même, on est content qu’ils existent mais en même temps on est exigeant).


Bref La nuée, premier film d’horreur avec des invasions d’insectes depuis au moins Bug de Friedkin en 2007, porte son lot d’alléchantes promesses. On peut le dire, on était prêt à croquer de la sauterelle en se jurant qu’il en allait de l’aliment de demain. Cependant, perçons l’abcès : comme toutes les fois ou presque où l’on bout devant un projet, on a tendance au final à trouver l’eau quelques degrés trop tiède. Attention, malgré tout la nuée tape haut et fort, mais dans un milieu où Ari Aster est par exemple en activité, ça ne suffit pas tout à fait.


Virginie (l’excellente Suliane Brahim, sociétaire de la comédie française qui emporte tout dans son premier rôle principal au ciné et rejoint easy Beatrice Dale en tant que figure tutélaire du fantastique français, et on n’exagère rien ou presque), jeune veuve avec deux enfants, se lance dans l’élevage de la sauterelle. Si la noble bête si monstrueuse en gros plan est au début un investissement peu porteur, notre héroïne trouve des moyens peu orthodoxes d’en stimuler la croissance. On n’en dira pas plus si ce n’est que papa Cronenberg serait fier.


Prenant le parti gagnant, surtout avec une actrice au jeu parfait, de fouiller à fond la psychologie de ses personnages principaux et des extrémités qu’ils atteignent pour espérer s’en sortir, le film dresse un portrait glaçant d’un monde agricole au bord de la crise de nerfs dans la veine de Petit paysan (Hubert Charuel, révélation 2017), voire du méconnu et arrivé trop tôt Isolation qui est grosso modo alien avec des vaches (Billy O’Brien, 2005, c’est pas très bon mais tous les thèmes sont là). Cette introspection de qualité aux accents paranoïaques rappelle également le Take Shelter de Jeff Nichols, dont La nuée pille l’affiche. Que du bon sur cet aspect... ou presque. On regrettera certains personnages secondaires dont on sent les apparitions effacées et ajoutées au gré des versions que l’on imagine nombreuses du scénario (le copain de la fille par exemple, très présent dans une seule scène puis inscrits définitivement aux abonnés absents) ou encore des fusils de Tchekhov qui tirent des pétards mouillés (spoil : quand la nuée s’échappe et bouffe la chèvre puis… plus rien, on n’entend plus parler de cet essaim en liberté).


A ce compte presque pas besoin des sauterelles, d’ailleurs le film est un peu chiche en scènes chocs, la faute probablement à un budget pas dingue (2,8 millions, la moyenne nationale oscillant entre 4 et 5, preuve s'il en faut que c'est galère de financer autre chose que de la comédie ou du drame) pour un concept malheureusement demandeur en effets spéciaux. Sans être un slow burn pour autant, La nuée tente un bouquet final haletant mais bien trop rapide que pour se transcender, et dommage d’aboutir à une acmé en demi-teinte après un développement aussi poussé. On pardonnerait presque Hitchcock quand il arrêtait aussi abruptement Les oiseaux tant ce que l’on imagine tout au long du film, qui glisse du drame social au thriller psychologique mâtiné de body horror, est largement supérieur dans la terreur à ce que l’image a réellement à nous offrir.


Malgré une succession de (très) bonnes scènes, des personnages fouillés, un concept qui fait le café et même plus avec une stridulation permanente en arrière-plan parfaitement stressante de ces insectes qui ne sont pas nos amis, La nuée semble enclencher le frein à main dans la dernière ligne droite. Ballot, alors que pour une fois qu’on a un film de genre qui tient la plupart de ses promesses, on était prêt à prendre une baffe plutôt qu’une caresse.


Au final, La nuée est un début prometteur pour un réalisateur et une actrice définitivement à suivre, une étude de caractères en chutes libres qui vaut à elle seule le coup d’oeil et de l’horreur souvent réussie. Comme tous les très bons films, on en vient à regretter qu’ils ne soient pas exceptionnels, la faute ici à des compromis trop visibles sur le scénario.


Et ça me fait beaucoup de peine de l’écrire.

Cinématogrill
8
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le 20 oct. 2020

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Cinématogrill

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