Shawn Levy a tout du cinéaste qui, à Hollywood, ne cherche pas à s’imposer. Le prototype même du yes man acceptant, d’année en année, d’exécuter le programme qu’on attend de lui : divertir la famille américaine moyenne, le week-end ou lors des fêtes de fin d’année. Si l’on met de côté The Internship, manuel de propagande à la gloire des transhumanistes de chez Google, ses films sont rarement irritants. Du cinéma factuel, qui se laisse voir, sans éveiller un véritable intérêt.

Mais Hollywood, la Mecque du cinéma, est aussi le lieu des miracles. C’est un peu ce qui se produisit en 2006, lorsque le cinéaste entreprit de réunir devant sa caméra Ben Stiller, Ricky Gervais, Owen Wilson et, surtout, Robin Williams, pour un véritable don du ciel – La Nuit au musée –, offert aux enfants du monde entier. Un divertissement à l’ancienne, de qualité, s’inscrivant dans la tradition des films de Thanksgiving. Le miracle se déplaça de la 34e rue à la 81e, où trône l’imposant Musée d’Histoire Naturelle de New-York. Se reposant sur un scénario des plus basiques, le cinéaste laissait aux acteurs le soin de divertir son jeune public tout en interagissant avec des effets spéciaux lo-fi, fusionnant la comédie classique avec l’humour du Saturday Night Live. Confiant dans son casting, et suite au succès du film, Levy s’attaqua au second opus. La surprise éventée, La Nuit Au Musée : La Bataille du Smithsonian emportait pourtant le morceau grâce à un souffle romanesque que permettait la présence, dans le récit, de l’exploratrice Amelia Earhart. Femme moderne et figure historique, disparue aux larges des îles Phoenix à la fin des années 30, elle devint ici un personnage répondant aux canons féminins d’Howard Hawks, la relation qui se noue entre elle et le personnage de Ben Stiller faisant écho aux comédies de l’auteur de L’Impossible Monsieur Bébé. Sans égaler le niveau du premier épisode, le film avait au moins le mérite de hisser la franchise dans le haut du panier de la filmographie de Levy.

C’est donc sans a priori que l’on aborde La Nuit au musée : Le Secret des Pharaons, opus censé clore la trilogie en présence de toute la fine équipe originelle. Cette fois, pourtant, rien ne semble aller. Tout d’abord, l’exil en Perfide Albion se cantonne à un artifice, et l’univers développé dans les deux premiers films peine à se renouveler. Pire, il y a comme un sentiment de vide, une absence. D’où, sans doute, le malaise ressenti, qui parfois confine à l’angoisse. Car c’est l’idée de la fin d’un monde – et de mort – qui transparaît dans le film. Loin de briller, cette nouvelle nuit s’ajoute aux stèles jonchant aujourd’hui le cimetière de la comédie américaine. C’est la fin d’un cycle qui a vu naître les frères Farrelly, Judd Apatow ou Adam McKay (ou encore le clivant Adam Sandler) ; le dernier testament d’une mort annoncée en 2012 avec Cinq ans de réflexion, confirmé avec This Is The End puis mis en pièce, non sans génie, par Judd Apatow dans ses deux derniers films, Funny People et This Is Forty. La comédie américaine s’ennuie – et ennuie – de plus en plus, jusqu’au récent remake de Dumb and Dumber. La fatigue, ici, se dessine sur les visages des acteurs. Usé par une mécanique sans fin, Owen Wilsen a du mal à grimacer et, alors qu’il y fait sa première apparition, Ben Kinglsey ne donne à voir qu’un masque familier. Ben Stiller ne sait plus comment donner le change au paresseux Ricky Gervais, si ce n’est en s’inventant un double simiesque, et peine à cacher les cernes sous ses yeux. Plus que celle de personnages de cire, c’est bien la « nature automate » des acteurs qui se dévoile dans ce nouvel opus. Une fatigue qui s’étend aux dialogues, auxquels manque la vitalité de La Bataille du Smithsonian.

C’est dans sa deuxième partie, et par son dénouement, que Levy parvient à donner une forme poétique et un sens à la mort de son univers. Il y a d’abord ces images chargées de morbidité : dans la pénombre du musée, des statues gréco-romaines peinent à se mouvoir, amputées qu’elles sont de certains de leurs membres. Loin d’être comiques, elles semblent au contraire échappées d’un épisode lugubre du bijou vidéoludique Silent Hill. Le récit lui-même entretient cette atmosphère – présente d’ailleurs à la base de la série (l’idée d’une humanité emprisonnée dans un corps-sarcophage, dont la mobilité n’est que provisoire). Une malédiction ne touchant, feignait-on de croire, que les personnages de cire. Dix ans après, il faut se rendre à l’évidence : nous sommes touchés, nous aussi, par les effets du temps. On sent dans les yeux de Ben Stiller l’angoisse de voir son fils s’éloigner et devenir adulte. Le temps passe et jamais il n’avait semblé plus vital pour Stiller de protéger la « tablette » à l’origine de ces nuits de magie. S’il réussit à garder le contrôle de son petit univers, il ne pourra cependant empêcher son fils de grandir, ni le temps de transformer les corps et les conduire vers la mort. La présence au générique de Robin Williams, et sa très émouvante dernière tirade: « Smile my boy, it’s sunrise », appuient encore davantage la mélancolie qui se dégage de cette dernière nuit. À se demander si, quelque part, la mort prématurée et violente de Robin Williams n’aurait pas scellé celle d’une certaine idée de la comédie américaine.
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le 16 févr. 2015

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