Billy Chapin est mort le 3 décembre 2016 à l’âge de 72 ans. Pour la plupart d’entre nous, ce nom ne dira rien…mais une photo de lui enfant ramènera, pour ceux qui ont vu La nuit du chasseur, au petit garçon au regard profond qui tient tête à Robert Mitchum tout au long du film.
Il n’est encore qu’un bébé, en 1944, lorsque Lana Turner et Gary Cooper le prennent dans leurs bras (respectivement dans Le mariage.. une affaire privée et dans Casanova le petit). Il obtiendra à 8 ans le New York Drama Critics Award de la révélation de l’année 1951 après s’être fait remarquer dans la pièce Three wishes for Jimmy. La carrière de Billy sera hélas courte, minée par des problèmes personnels. Son rôle dans La nuit du chasseur demeure inoubliable et c’est sous les traits du petit John Harper qu’il restera dans les mémoires.
Réalisé par l’acteur Charles Laughton, épaulé par Robert Mitchum qui se serait occupé plus particulièrement de la direction des enfants ( Charles Laughton n’aimant guère les bambins, selon la légende), le film apparaît aujourd’hui comme une référence pour tout cinéphile. Je me suis dit qu’il était temps de le voir ou de le revoir.
Je me suis ainsi aperçu de deux choses :
1) d’abord que, contrairement à ce que je pensais je ne l’avais jamais regardé.
A force d’en entendre parler, j’étais persuadée du contraire.
2) que la plupart de mes éclaireurs(euses) de Sens Critique l’avaient vu, noté, voire critiqué.
Il est temps de donner plus précisément mon avis.
Robert Mitchum est un acteur à la carrure imposante et à la présence forte qui happe aussitôt le spectateur dès qu’il apparaît à l’écran. Dans le rôle d’un inquiétant faux pasteur, Il guette sa proie et étend son emprise sur tous ceux qu’il rencontre.
Mais avant d’être happée par l’histoire et l’intense atmosphère qui s’en dégage, c’est sur le plan esthétique que le film m’a donnée un grand coup au cœur, tout d’abord à travers ses mouvements de caméra audacieux : celle-ci commence par plonger sur les enfants réunis devant un corps de femme étendu. La caméra les dépasse, recule puis s’élance vers le ciel avant de plonger à nouveau, cette fois sur Robert Mitchum arrivant tranquillement en voiture et discutant avec Dieu. Dès ce moment-là, la caméra aura bien du mal à le lâcher et même quand il ne sera pas à l’écran, sa présence dominera tout le film.
Mais là où La nuit du chasseur mérite le terme de chef d’œuvre, c’est bien dans sa photographie qui magnifie le noir et blanc comme je ne l’ai jamais vu faire personnellement, grâce au chef opérateur Stanley Cortez – qui a déjà oeuvré sur le film d’Orson Welles, la splendeur des Ambersons. Chaque découpage de plan, chaque choix de lumière, sont pensés pour accompagner au mieux l’histoire, conférant à l’ensemble un mélange de poésie et de cruel réalisme. La scène des enfants descendant la rivière en barque pour échapper à leur prédateur est de toute beauté. Après la violence de la scène précédente, on est entraîné dans un moment de rêve et de contemplation, la barque glissant doucement sur l’eau aux reflets d’argent, sous le ciel étoilé. Lilian Gish, dans sa maison au bord de la rivière, apparaît comme une bonne fée sortie d’on ne sait où pour prendre les enfants sous son aile.
Mais le film contient aussi une violence à part, dans la mesure où elle est la plupart du temps suggérée, non montrée et même, concernant les enfants, plus psychologique que physique. La scène où Robert Mitchum coince John et sa soeur dans la cave et maintient la tête de Billy Chapin sur une caisse en le menaçant d’un couteau, est d’une violence inouïe par tout ce qu’elle suggère… le moment est terrifiant.
Le personnage et la dernière partie du film font cependant fortement penser au magnifique Les nerfs à vif, de Jack Lee Thompson, tourné 6 ans plus tard, où Robert Mitchum, à nouveau psychopathe, terrorise Gregory Peck et sa famille. La scène où il guette la femme et la fille de Gregory, que celui-ci a mises à l’abri sur un bateau caché dans les marais – quelle idée !! – avant d’assiéger la maigre cachette, distille cette même angoisse. Le personnage joué par Mitchum est quasi identique.
Le seul point qui me fera cependant enlever un point à la note qui ne sera que de 9 ( !) est le côté un peu outré et caricatural de certaines scènes, comme celle où Shelley Winters, totalement sous l’emprise de son fou de mari , se lance dans une prédication de « femme grande pécheresse devant l’éternel ». J’ai trouvé la scène assez ridicule. Même ressenti dans la scène de foule s’apprêtant à lyncher le coupable ou se précipitant avec curiosité vers les pauvres agneaux (les enfants), victimes du faux prêcheur.
Ce détail mis à part, on retiendra un film marquant, à la beauté esthétique, due au noir au blanc, proprement stupéfiante et à un mélange de violence et de poésie savamment dosés. Une magistrale leçon de cinéma.

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le 19 janv. 2017

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m-claudine1

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