D'ores-et-déjà connu en tant qu'acteur, Charles Laughton signe avec La Nuit du Chasseur son premier et dernier film, tant celui-ci sera un échec commercial. C'est dingue, quand on sait la postérité et la réputation solide que ce film a acquis avec les années.
La Nuit de Chasseur est un film qui déborde d'énormes qualités, mais qui n'est en même temps pas exempt de défauts qui le ternissent lourdement. J'ai globalement beaucoup aimé le film, mais je reviendrai sur ses imperfections plus tard.
D'une manière générale, le film est bien écrit, très vivant. La situation des personnages évolue à plusieurs reprises, et on sent par ce scénario bien rempli que le film est issu d'un bouquin. En tout cas, cela permet d'éviter les rebondissements prévisibles et de densifier l'histoire.
Alors qu'on pense que la cachette de l'argent, qui nous est d'abord dissimulée, fera office d'un rebondissement, elle nous est en fait dévoilée, à nous ainsi qu'au personnage de Mitchum, assez tôt dans le film.
Visuellement, le film est une petite claque. L'influence évidente de l'expressionnisme associée à un noir et blanc particulièrement soigné et des décors léchés fait de certaines scènes de vrais tableaux vivants, et gratifie le film d'une ambiance de conte avec des airs voilés de fantastique, avec cet antagoniste diabolique et imprévisible, qui me rappelle bigrement la sorcière d'Hansel et Gretel, étant donné sa façon de « cuisiner » les enfants à sa manière.
Et c'est bien sûr l'interprétation de Robert Mitchum dans le rôle de cet antagoniste qui fera une bonne partie de la postérité du film. Ce personnage à la double-facette métaphorisée par ses tatouages, qui sacrifie ses valeurs morales au profit d'une forte valeur financière, dénonce à l'aide de son charme pervers et irrésistible la soumission à l'autorité dont peut alors abuser un révérend Malin.
Je pense toutefois que ce personnage manque cruellement de crédibilité, non pas dans son interprétation - qui est magistrale - mais dans ses actions : il ne parvient pas à rattraper les enfants dans l'escalier, ni à nager dans le fleuve, et manque parfois cruellement d'ingéniosité, notamment sur la fin du film.
La fin du film m'a globalement déçu. Le personnage de Mitchum, tout d'abord très calculateur, a perdu tout son sens de la mesure (il le perd cela dit assez tôt, à partir du moment où il s'énerve sur la petite Pearl, qui lui aurait sûrement révélé son secret s'il avait été légèrement plus patient). Il n’échafaude pas de plan minutieux pour se venger, mais demeure particulièrement passif jusqu'à son arrestation.
Sorti la même année que Les Diaboliques, autre grand classique du thriller noir, La Nuit du Chasseur partage avec le film de Clouzot son suspense alléchant, mais se situe à mes yeux en-dessous du film français, dont le scénario ne laissait aucune place aux invraisemblances.