Le magnifique classicisme Fordien aura toujours ce poids écrasant du respect. A une époque où l'Art cinématographique du XXIème siècle est comme une bouteille jetée à la mer, John Ford est presque comme un instrument de mesure ou mieux une boussole afin de retrouver le sens de la composition du cadre et des valeurs qui vont avec. Welles en a fait son Maître à penser et Spielberg son inspirateur le plus proche. Mais sa grande réussite est de concilier critique de gauche et critique de droite parce qu'il n'y a rien de plus fort qu'une bonne éducation par un vieux patriarche et peut être aussi parce que le sens de la famille et le brio de l'uniforme il n'y a que ça de vrai. Ford est donc ce bon vieux réactionnaire des familles qui croit fermement en une puissance divine et qui jure Saint Patrick.


Il y a un peu de tout ça dans "La Patrouille perdue" et toute la force de son récit tient en une seule phrase :


"Durant la Grande Guerre, une dizaine d'hommes issue de l'armée britannique est livrée à un ennemi invisible en plein désert mésopotamien."


Sur une durée d'environ 73 mn, il ne suffira aux aficionados du travail de Ford, qu'un bon quart d'heure pour comprendre la teneur ultra personnelles de ce survival. Après le décès de l'officier responsable de la Patrouille, c'est le Sergent (Victor McLaglen) qui prend la direction du petit groupe. Le personnage de forte stature porte déjà en lui les gènes du Capitaine Brittles incarné par John Wayne dans "She wore a yellow Ribbon". Marqué par le deuil de sa femme, le soldat adopte les réflexes du leader mais fait aussi preuve de compassion envers ses soldats. Plus grand frère que père autoritaire, son humeur entre colère et désespoir annonce un funeste destin pour lui et ses hommes. Le ton est donné et la troupe sera rapidement décimée selon les lois du huis clos meurtrier, sous genre flirtant entre l'actioner et le fantastique. Si l'on peut attendre Ford sur ce terrain, il serait, en revanche, difficile d'entreprendre une seule et même lecture de sa bande guerrière. En cause la mort autant physique que symbolique du soldat de confession Chrétienne abrité dans une mosquée.


Pour peu que l'on soit familier du travail de John Ford, nombre de ses personnages ont une foi inébranlable. Une manière propre au réalisateur de parler des hommes que de leur faire évoquer au détour d'une phrase l'existence de Dieu. Mais la vertu d'une croyance aussi forte peut aussi s'incarner par l'entremise d'une relecture de la Bible. C'est le projet un peu fou de "Les Fils du désert", western introspectif et métaphorique d'une rigueur étonnante. La fontaine religieuse, une eau pure à laquelle Ford ne cessera de s'abreuver et d'hydrater toute son oeuvre. On connait ou on reconnait la tendance comme un leitmotiv dans chaque film. A contrario "La Patrouille perdue" semble aller à l'encontre du bienfait de la parole divine. Le métrage amorce toute sa dramaturgie par une scène primordiale alors qu'aucun autre film aurait tôt fait de le clôturer : Le petit groupe assoiffé tombe sur une oasis et au pied de celle-ci une mosquée leur fournie l'ombre nécessaire au soleil plombant. Le symbolisme devrait mettre un terme à l'enfer de ses soldats. L'eau comme source de vie et la pierre comme rempart à l'épreuve de tout sacrilège. Cependant l'ennemi ne l'entend pas comme tel... Le réalisateur des "Raisins de la colère" a-t-il châtié des pécheurs en terre sainte ? Y a-t-il vu l'occasion de traduire l'absurdité des hommes en un chaos où idéaux, religions et patrie ne font qu'un ?


Un questionnement qui ne fait que tarauder le spectateur à mesure que le film se déroule avec une résonance sur l'actualité principale des années 2010. Alors que l'oeuvre de John Ford renferme les plus belles vertus, "La Patrouille perdue" bouscule les repères et laisse exsangue lorsque son dernier plan achève cette tuerie d'une bêtise sans nom.

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le 27 juil. 2020

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