On l'oublie souvent, mais Marco Ferreri démarra sa carrière de réalisateur en Espagne à la fin des années 1950. Assisté du scénariste Rafael Azcona, il y signa trois réalisations dont un petit bijou d'humour noir tragi-comique, La Petite Voiture, en 1960.


Après avoir participé à la production de films comme Chronique d'un amour de Michelangelo Antonioni ou Le Manteau d'Alberto Lattuada, le jeune Marco Ferreri quitte l'Italie pour l'Espagne franquiste en 1956 en qualité de producteur exécutif...et de représentant de commerce pour le Totalscope, version italienne du CinemaScope ! Après plusieurs échecs dans la production, il se lance dans la réalisation en compagnie du romancier Rafael Azcona, qui deviendra l'un de ses collaborateurs les plus importants. Une rencontre fondamentale si on en croit les dires du cinéaste : « J'ai convaincu Azcona qu'il devait écrire des scénarios et il m'a persuadé de devenir réalisateur. » Alors que leurs deux premiers films, L'Appartement en 1958 et le quasi invisible Los chicos en 1959, sont victimes de la censure espagnole, le duo Ferreri-Azcona récidive avec La Petite Voiture (El colchecito) en 1960. Adaptation d'une nouvelle de l'auteur, le film est produit par Perre Portabella et sa maison de production Films 59 qui permit la réalisation au même moment de Viridiana de Luis Bunuel et Les Voyous de Carlos Saura. Ces trois films sont souvent considérés comme l'acte de naissance du cinéma espagnol moderne. A mi-chemin entre le néo-réalisme et la farce tragi-comique, La Petite Voiture peut être vu comme le premier chef d'œuvre de Ferreri et reçut le Prix FIPRECI à la Mostra de Venise ainsi que le prix de l'humour noir en 1961.


DON ANSELMO OU LE VIEUX ENVIEUX


Le film raconte l'histoire d'un vieillard enfantin et infantilisé par sa famille, qui sur un coup de tête décide de s'offrir une petite voiture pour handicapé, alors qu'il est pourtant bien portant ! Obnubilé par cette idée fixe, Don Anselmo mettra alors tout en œuvre pour accomplir son rêve et rejoindre les cortèges de ses amis grabataires qui friment en voiture dans les rues de Madrid ! Entre une Tatie Danielle (avec son côté simulateur et colérique) et un Umberto D. (de par son déclassement et l'abandon de ses proches), Don Anselmo est un personnage haut en couleurs ! Il est magnifiquement interprété par le grand acteur espagnol José Isbert, qui sur la fin de sa carrière tenait souvent des rôles de vieillard grincheux. Tour à tour touchant et égoïste, grotesque et tragique, il figure parmi les plus beaux portraits concoctés par le féroce Ferreri, bien aidé ici par l'humour noir de Azcona. De nouveau (et cela fut une habitude dans la carrière du réalisateur italien), La Petite Voiture eut maille à partir avec la censure, l'obligeant à modifier la fin en insistant sur le repentir du papy tueur aveuglé par son égoïsme et son matérialisme. Toutefois, les modifications apportées ne semblent guère dénaturer la morale du film et la scène du passage à l'acte, en un plan séquence exemplaire, demeure explicite, Don Anselmo se vengeant du sort que sa famille va lui réserver : l'asile ! On retrouve aussi avec plaisir Angel Alvarez, le futur propriétaire de saloon du Django de Corbucci, au casting, et l'excellente Bande Originale concoctée par Miguel Asins Arbo appuie le ton ironique du film.


En somme, cette nouvelle édition de La Petite Voiture concoctée par Tamasa nous permet de redécouvrir un film incontournable pour mieux comprendre la filmographie de son auteur. Ainsi qu'un véritable modèle de comédie douce-amère qui nous interroge sur nos rapports à la vieillesse et aux fameux objets de consommation tant auscultés par la caméra de Ferreri (Dillinger est mort, I love you, Break-Up...).


(Retrouvez l'évaluation de la partie technique de l'édition Blu Ray-dvd de Tamasa par ici : http://www.regard-critique.fr/rdvd/critique.php?ID=6739)

SB17
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le 26 févr. 2022

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