Vraiment, un consensus pro-Planète des singes nouvelle mouture ? Un amas de cinéphiles à l'esprit pourtant bien aiguisé qui déclarent que nous avons affaire à la trilogie la plus intelligente du cinéma actuel, un grand film d'action mêlé à de grandes réflexions humaines ? J'aime pas spécialement dire ça, parce qu'il s'agit toujours du goût et du ressenti de chacun, mais a-t-on réellement vu le même film ?


Il faut poser les bases de cette nouvelle trilogie, pour comprendre ce qui ne va pas. Toi l'ami qui n'a pas vu les deux premiers épisodes, passe ton chemin, ça va spoiler balle. Donc, la planète des singes, originellement fantastique bouquin, et sa merveilleuse adaptation par Schaffner, était avant tout une critique acerbe des dérives de l'humanité et de sa nature guerrière, et nous proposait un univers où l'Homme s'est tout simplement détruit par sa propre folie, et où les singes ont atteint le parler et la civilisation pour la simple et bonne raison qu'ils étaient second sur la chaîne de l'évolution. Le film nous montrait surtout que si l'on donnait les mêmes moyens, culturels et technologiques, à une autre espèce, elle reproduirait les mêmes erreurs.


Lorsque "Les Origines" ont posé leur constat, l'idée était de faire fi de cette proposition et d'en offrir une nouvelle interprétation, et grand bien leur fasse. À remake, aucune imposition, il n'y a pas de canons quelconques à respecter, ce que l'on proposera alors plaira ou pas selon la sensibilité que l'on en aura, tant que ça tient la route. Après tout, le terme "adaptation" devrait toujours prendre tout son sens. Pourtant, deux films plus loins, la proposition initiale a bien changé, et le film se pose dans un entre deux bien bancal. Là où on voulait nous montrer une rébellion d'une espèce qui prend conscience de sa condition (critique de notre société de sur-abattage animal ?), et utiliser l'élément des capacités cognitives nouvelles comme simple élément déclencheur, on ajoute un virus, les critiqués deviennent victimes pour justifier leurs actions, rendant la revendication invalide.


Mais vous me direz, c'est une nouvelle proposition, il faut l'accepter, et choisir ensuite de l'aimer ou pas. Sauf que malheureusement, ce qui fait croire au début à des références pour fans en manque montre en fait une dure réalité : il ne s'agit pas du tout d'un remake, mais d'un prequel. Et là, il y a des canons à respecter, que tu le veuilles ou pas, mon cher Matt Reeves. On est dans le cas où George Lucas aurait dit "Oh bah non, j'aime trop Hayden Christensen (écrire ce début de phrase est un grand moment d' hilarité) alors ce sera pas Anakin mais un autre méchant qui deviendra Darth Vader, je m'en fous de ma première trilogie et du raccord). Donc l'homme qui se détruit par le nucléaire, la critique de notre propre arrogance, à la poubelle (oui, il y a bien mention du fait que la création du virus est notre faute, parce qu'on joue à dieu, etc etc, mais c'est tellement peu crédible qu'autant ignorer le monologue excessivement gênant de Woody Harrelson). L'homme devient victime là où il était l'instigateur, nous ne sommes plus responsables. La SF ne nous accuse plus, elle tient la nature comme la grande méchante qui reprend ses droits là où on s'est fait un malin plaisir à les bafouer mais ça, c'est pas important. Et surtout, on n'est pas dans la même saga.


Alors il faut essayer de passer outre, même si c'est difficile. Se dire que l'on va avoir droit à un film d'action potable, décérébré mais divertissant. Et même cette promesse n'est pas tenue. Doit on vraiment applaudir les effets d'un film coûtant plus d'une centaine de millions, aussi beau soient ils ? Évidemment que sur un point technique, du moins dans l'animation, il n'y a rien à dire, mais ce n'est pas un argument. Parce que le film n'est pas spécialement beau dans sa composition photographique,et surtout dans sa lumière. Les personnages se déplaçant constamment en intérieur ou dans une impression de nuit, il y a une sous-exposition constante, et en réalité, on n'y voit tellement rien que ça en devient par moments irregardable. On imagine facilement le chef opérateur se pignoler régulièrement sur la scène de retrouvailles avec le colonel Kurtz dans Apocalypse Now, et le sublime clair/obscur que nous avait offert Coppola alors, mais non, 2h30 de ce même clair/obscur, ça ne ressemble pas à Apocalypse Now mais à Rochester le dernier des libertins, et c'est déjà moins glorieux.


Et l'action n'est jamais présente. Attention, loin de là l'idée de reprocher à un film sa volonté de se concentrer sur ses dialogues et ses émotions, sauf que ce qui est proposé à la place n'est pas non plus du premier choix. Des dialogues clichés et moralisateurs qui auraient fonctionné y'a 20 ans, un side-kick rigolo toujours hors propos, on est dans le niveau abyssal de l'écriture, et ne parlons pas de la narration. À porte fermée, équipée désespérée ? Un panneau de caméra et une trappe est là. Surtout, l'écriture des personnages ne bat pas son plein. Beaucoup voient des enjeux divers et quelque chose de subtil, et une fois encore, on les cherche encore. Les gentils sont très gentils, les méchants sont très méchants. Les pseudo interrogations des protagonistes ne servent qu'à accentuer cet unique constat, et le monologue du Colonel censé justifier les actions des hommes pèse peu face à deux heures d'exactions expliquées en un clin d'œil. Là où, et même si ça n'aurait pas plu à ceux préférant la position de la saga originelle, ça aurait pu être bien mieux amené et justifié.


Bon, cette critique commence à être à l'image du film, longue et chiante, on s'y perd et la moitié d'entre vous ont du décrocher à ce stade. Allons directement au dernier point, qui n'est pas des moindres : Jésus.


On sait pertinemment qu 'Hollywood, en contradiction totale face à ses excès, à dans son cahier des charges un concentré de puritanisme nauséabond. Il y a toujours une volonté chrétienne, que ce soit dans le message ou dans le choix des plans, et on s'est fait une raison. Sauf que là, les références bibliques ne sont même pas planquées que ça en devient gênant. On est quand même face à un peuple qui cherche à rejoindre sa terre promise au delà d'un désert, et d'un leader qui devra sacrifier son fils puis lui même pour que le but soit atteint. Face à une lumière qui n'apparaît au delà des nuages que lorsque cette fameuse terre est atteinte. D'un antagoniste qui lui aussi a sacrifié son marmot et du coup se croit porteur d'un message divin. De prisonniers enchaînés en forme de croix sur leurs pitances ! On est plus dans une œuvre d'anticipation, on est dans une refonte de l'Exode avec Dunston, Cheetah et Mookie réunis pour le pire.

ThierryDepinsun
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le 3 août 2017

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