En route vers l'originel...et la fin de l'humanité...

LA PLANÈTE DES SINGES : SUPRÉMATIE (17) (Matt Reves, USA, 2017, 140min) :


1963, l’écrivain français Pierre Boulle sort un roman de science-fiction intitulé La Planète des singes, inspiré d’une observation des gorilles en zoo. À New-York, le 8 Février 1968, le monde découvre au cinéma La planète des singes (réalisé par Franklin J. Schaffner), un cauchemar darwinien : des singes civilisés gardent en esclave des humains primitifs ! Cette représentation allégorique de la réalité dénonce la politique, la religion, l’esclavage, le colonialisme, la ségrégation, la menace nucléaire...Une vision pessimiste détonante qui trouve son apogée dans l’une des scènes finales les plus saisissantes de l’histoire du 7eme art. Depuis 1968, cette saga ne cesse de se décliner avec plus ou moins de bonheurs mais toujours avec un intérêt certain tant cette histoire bouscule l'ordre établi de l'homme et de l'animal, du dominé et du dominant en posant des questions existentielles sur notre propre inhumanité... 2 août 2017, l'ultime volet de la trilogie reboot au film originel s'impose sur de nombreux écrans. Nous retrouvons le chimpanzé César à la tête des singes, confronté à l'armée d'un colonel humain sanguinaire qui cherche à tout prix à retrouver César pour installer la domination des hommes sur les primates.


D'entrée Matt Reeves rompt avec les deux précédents volets : Les Origines réalisé par Rupert Wyatt en 2011 et L'Affrontement (2014), filmé par ses soins. Cette fois-ci, la formidable scène inaugurale nous plonge directement en immersion dans l'action à travers l'assaut de l'armée dans la forêt où vivent les primates contrairement aux deux premiers chapitres qui prenaient le temps de poser les personnages. Une mission singulièrement mortelle coûtant de nombreuses vies, notamment des proches de César, faisant vaciller son pacifisme vers une haine viscérale envers ce colonel assassin. Cette fois-ci donc, l'affrontement opère dès le début, et les spectateurs comprennent d'emblée qu'ils ne sont pas venus ici pour étendre du linge mais pour frissonner et en prendre plein les yeux avec ce blockbuster de haute tenue !


Après cette entrée en matière, brute en défouraillages, Le réalisateur prend le temps de ne pas réduire son film à un simple combat belliqueux entre homme et primates, n'éludant aucun questionnement fondamental, aucun doute existentiel sur le bien fondé ou non de vouloir dominer ou éradiquer complètement l'autre, soulevant le thème qui a perdu de sa force vu le cynisme ambiant actuel, mais demeure pourtant primordial : le vivre ensemble. Matt Reeves s'appuie sur une structure narrative assez classique dans ce long métrage de science-fiction pour nous narrer de façon parfois biblique la genèse d'un nouveau monde dont l'extermination paraît inéluctable au cour de ce récit aux conflits intérieurs, que Shakespeare n'aurait pas renié. Sa mise en scène particulièrement inspirée nous propose dans un premier temps une véritable aventure, un exode à dos de chevaux pour retrouver le colonel avec un sentiment de vengeance, convoquant ainsi avec une ambition judicieuse le western à travers des majestueux plans sur la plage (l'un des très nombreux clins d'œil appuyés au final du film de Schaffner..) et dans des magnifiques décors enneigés. Une épopée teintée de film samouraïs à la Kurosawa pour en arriver au film de guerre proprement dit (comme si une guerre pouvais être propre, passons...) où la résonnance avec Le Pont de la rivière Kwaï (1957) de David Lean et le mythique Apocalypse Now (1979) de Francis Ford Coppola se fait sentir sans jamais être des références trop écrasantes, trouvant un ton singulier notamment par rapport à de nouveaux personnages, notamment un singe lunatique survivant d'un zoo qui apporte certaines scènes humoristiques au milieu de la désolation où les primates sont enrôlés de force pour des travaux pénibles et mis en cages comme des esclaves, même si parfois le trait de ce drôle de chimpanzé est un peu singé...On pardonnera au cinéaste, il n'est après tout, juste qu'un être humain !


Tout au long du récit distillé avec intelligence, l'écriture malgré la violence, s'avère élégante et la caméra offre une soif de cinéma à chaque plan, où se mêle des moments de poésies, de pures émotions et des moments de bravoures spectaculaires. Un long métrage tendu et puissant pouvant s'appuyer sur les studios Weta produisant des époustouflants effets spéciaux par le biais de motion capture, dont le degré de performance est sidérant, tant ils capturent aux poils près toutes les émotions, les mouvements et les expressions des visages de chaque espèce de singes.
Dans l'interprétation du rôle phare de César, Andy Serkis (aidé par ces prodigieux effets) livre une incarnation absolument ébouriffante qui ne rougirait pas le moins du monde d'une nomination à la prochaine course aux Oscars 2018, tant son jeu est d'une justesse impressionnante et d'une force incroyable, tant dans sa gestuelle que dans ses regards d'une profondeur admirable. Le reste des interprètes des singes du magnifique et sage orang-outan Maurice aux autres primates, ils évoluent tous avec la même grâce. Plus en retrait l'interprétation un peu forcée de Woody Harrelson, jouant un mélange du colonel Kurtz d*Apocalypse Now* et du sergent instructeur Hartman de Full Metal Jacket (1987) de Stanley Kubrick. On peut noter aussi l'erreur dommageable de casting dans le choix de la charmante Amiah Miller, par rapport à sa chevelure bonde et sa peau blanche pour interpréter la jeune fille Nova. Celle-ci censée être plus tard la future petite amie brune à la peau mate du capitaine George Taylor, l'un des survivants du crash de l'engin spatial Icare atterri sur la planète des singes dans le tout premier film de la saga.


Malgré ces petits bémols, le dernier volet de cette trilogie prequel se termine en apothéose, accompagné par une superbe partition musicale de Michael Giacchino, que cela soit dans les morceaux au piano intimiste émouvants ou dans des compositions épiques ou le lyrisme est sublimé soit par des percussions ou des chœurs. Une brillante métaphore de notre société où la peur de l'autre, le manque d'empathie et l'envie de dominer pourraient bien amener notre civilisation humaine à son extermination totale. Depuis 1968, toujours ce même questionnement de plus en plus moderne, ne cesse de nous tarauder l'âme : « Et si l’homme causait sa propre perte, quelles espèces pour le remplacer ? ». Venez vous confronter à ces multiples prises de conscience à travers cette ultime intrigue sensationnelle et mythologique au sein de La Planète des singes : Suprématie. Un saisissant reboot vers l'originel. Intense. Profond. Émouvant.

seb2046
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le 2 août 2017

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