Y a-t-il un problème aux Etats-Unis ? Voilà qui est sûrement une question qui hante Arthur Penn, cinéaste qui n’aura cessé de remettre en question la société Américaine, en déclenchant une révolution cinématographique par son approche alors « no limits » de la violence, tant physique que morale. La Poursuite Impitoyable est réalisé juste avant Bonnie & Clyde, qui constituera un changement majeur au cinéma. Cela dit, bien des éléments de la réussite de Bonnie & Clyde se retrouvent déjà dans La Poursuite Impitoyable.

Ce qu’il faut déjà savoir, c’est que la scénariste, Lillian Hellman, a connu les jours sombres de la politique du McCarthysme, ce qui lui vaut d’être inscrite sur la malheureusement célèbre liste noire du cinéma, aux côtés de noms comme Charlie Chaplin, Luis Buñuel, et Dalton Trumbo. Au sein de l’œuvre de Lillian Hellman, on retrouve donc la vision d’une Amérique qui s’auto-détruit dans sa crainte et dans ses aprioris. La Poursuite Impitoyable aurait pu être un bête film sur la traque du fugitif, Bubber Reeves (Robert Redford), mais non, Arthur Penn et Lillian Hellman font le choix d’articuler presque tout le métrage autour de la réaction des habitants d’un petit bled avoisinant, et non autour du fugitif. Réaction démesurée autant qu’ignoble, d’autant plus que durant la majeure partie du film, le fugitif n’interagit pas directement avec les habitants, qui se font des films eux-mêmes. A partir de là, c’est une descente aux Enfers qui est opérée dans la petite ville. Car si le début du film est un petit peu lent, très posé, on en comprend que mieux l’utilisé par la suite, afin de vivre ce changement radicale d’ambiance, jusqu’à d’ailleurs arriver à une ambiance quasi-apocalyptique, voire carrément infernale. Littéralement parlant d’ailleurs, j’entends.

Il faut dire qu’à la base, tout n’est que perversion ou intérêt dans cette ville. Tout tourne autour d’un magnat du pétrole, Val Rogers, qui n’est même pas caractérisé spécialement comme un mauvais bougre à la base. Juste un mec plein aux as qui arrose un peu, mais pas le stéréotype du méchant friqué. Et c’est ça qui rend le film encore plus dérangeant. L’horreur que vont devenir les personnages provient à la base de gens tout ce qu’il y a de plus lambda, avec des vices assez habituels : l’argent, la luxure, le mépris... D’une certaine manière, la Poursuite Impitoyable aurait pu s’appeler La Chute de l’Empire Américain, car c’est là bel et bien ce dont il est question. Afin de mieux mesurer l’ampleur d’une chute, ce qu’il faut, c’est un témoin. Le film en offre un en or : Marlon Brando, incarnant Calder, le shérif de la ville. Mais Calder n’est pas non plus un personnage étant l’incarnation même du « Bien » avec un grand B pour mieux faire comprendre qui sont les méchants. Calder a aussi ses faiblesses, mais c’est son indifférence qui, à terme, finit par le protéger de la décadence ambiante. Au mieux, Calder est un mec qui essaie de faire son boulot, sans excès de zèle d’ailleurs. Toujours l’occasion de constater que Marlon Brando est un des plus grands. Son passage à tabac est, je pense, une scène d’anthologie au sein de sa carrière. Le mec se donne clairement.

Et c’est bien cette « normalité », finalement, qui créé une totale rupture avec le reste de la ville. Le « normal » n’est plus le bienvenu, tout ne doit être qu’excès. Et l’excès devient la normalité. A plus d’une reprise, on se retrouve effaré par le comportement des habitants, drogués par une logique de voyeurisme perpétuelle : voir de la violence extrême sans même réagir, voir la grande tromperie commune sans réagir non plus... Cela fait peur, vraiment. Le film va totalement au bout de son propos et ne recule devant rien. De toutes façons, Arthur Penn est un cinéaste qui n’a clairement pas envie de s’arrêter à mi-chemin. C’est justement bien ce qui révolutionnera le cinéma dans Bonnie & Clyde notamment grâce à sa fusillade finale.

En plus d’avoir un propos tout simplement génial, La Poursuite Impitoyable se fend d’une réalisation de maitre. Découpage ultra-méticuleux pour une esthétique soignée et un jeu de lumières au centimètre près permettent au film d’avoir une efficacité absolument imbattable et d’inclure son propos scénaristique dans sa forme. On sent en permanence qu’un grand réalisateur se tient derrière la caméra et est assuré de ses choix de réalisation. Grand réalisateur qui trouve son écho chez un grand compositeur : John Barry. L’homme sait clairement maitriser ses compositions, même s’il n’en est encore qu’au début de sa formidable carrière. Il n’aura clairement pas volé son titre d’un des plus grands compositeurs de tous les temps.

Enorme surprise donc, cette Poursuite Impitoyable, que je ne connaissais pas du tout et que j’ai acheté sur un coup de tête grâce à son casting. Mais c’est un film riche, incroyablement riche, délivré par un cinéaste qui assure clairement sa place au sein des réalisateurs les plus influents (et brillants) de son époque. La révolution est en marche.

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le 24 nov. 2012

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Lt Schaffer

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