Naissance d’une nation : tel semble être le programme de Ford dans ses westerns. Dans ce chapitre, le meurtre fondateur du frère permet au protagoniste de devenir sheriff d’une ville en proie au chaos des temps premiers : boisson, flingues et vol font loi. Fonda et son regard pur vont progressivement civiliser cette cité naissante, ambivalente à l’image de son grand représentant, Doc Holliday. Oscillant entre la violence de son statut de parrain local et un passé d’homme du monde (médecin, fiancé) qu’il noie dans la boisson, c’est un personnage fordien par excellence, blessé et mélancolique, fascinant et inquiétant.
Le trio amoureux, partition habituelle du cinéaste, se voit ici dédoublé : deux hommes pour la même femme, certes, mais une rivale qui s’y adjoint : au doublé masculin fondé sur une rivalité de plus en plus complice, répond celui d’une femme à double face, la jolie institutrice de la vielle Europe et la féline au sang chaud du cabaret aviné.
Dans ce curieux ménage à quatre, où les personnages secondaires ont toujours la même épaisseur, le ballet d’une vie peut prendre ses marques. Comme souvent chez Ford, l’intrigue première, qui prendra quelques fausses allures de policier (qui a tué le frère d’Earp ? Comment le retrouver ?) est par instants délaissée au profit d’une évocation distendue du quotidien : place à Shakespeare et ses monologues, à l’oisiveté d’un sheriff se balançant sur sa chaise, moments aussi uniques qu’authentiques.
La vie de la cité, Earp la gère avec fermeté : il s’agit souvent de coller un poing dans la figure de celui qui, trop alcoolisé, tente de la faire revenir à l’âge de pierre, ou de fouler le parquet d’une Eglise encore en construction pour la consacrer à l’échelle humaine.
Une fois la communauté établie, le règlement de compte à OK Corral pourra s’établir. La raréfaction de la parole laisse place à une situation de plus en plus tendue, chorégraphiée et toute entière au service de l’image.
Et si l’on clairseme les rangs des protagonistes avant l’élan vers les horizons sans cesse fuyants du far west, ce n’est pas sans la promesse d’un retour pour construire cette fameuse unité familiale, quête toujours vivace, mais sans cesse différée des protagonistes fordiens.

http://www.senscritique.com/liste/Cycle_John_Ford/569939

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le 29 août 2014

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Sergent_Pepper

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