Quatrième film pour Kinuyo Tanaka derrière la caméra et premier en couleurs. Et on ne peut pas la soupçonner de détester le rouge, car elle ne manque pas une occasion de le mettre en avant, quitte à avoir recours à un filtre. Mais je trouve que ça claque pas mal visuellement, donc pourquoi s'en plaindre.


Bon, le sujet. C'est un biopic. Ce qui n'est pas tout à fait une nouveauté pour la cinéaste étant donné que son œuvre précédente, The Eternal Breasts (désolé, j'ai du mal avec le titre français bien patriarcal et, pour celui original, mon japonais est de l'ordre de l'inexistant !) s'inspire d'une histoire vraie (les noms ont été changés !). Mais là, on y va carrément avec l'Histoire avec un grand H puisqu'il s'agit de raconter la vie de l'aristocrate japonaise Hiro Saga, en adaptant ses mémoires.


Cette dernière épouse en 1937 le frère de l'empereur fantoche du Mandchoukouo, Puyi (oui, aussi le dernier empereur de Chine, dont Bernardo Bertolucci a raconté la vie dans le film intitulé... ben Le Dernier Empereur !). Et autant, les premières années de mariage sont relativement pépouzes, autant à partir du moment où les Japonais sont contraints à la capitulation, avec les cocos de Mao en invités (au passage, l'ensemble ne tombe pas dans le piège du manichéisme en évitant de représenter les soldats rouges en êtres méchants hyper-méchants 24 sur 24 incapables d'avoir une once d'humanité !), cela devient tout autre chose…


Le récit promet d'être épique. Il n'y a rien de plus épique qu'un destin individuel emporté par la tourmente d'une toile de fond historique bien tourmentée. L'excellente BO de Chūji Kinoshita veut porter le tout dans ce sens.


Reste que Tanaka applique ici la plupart du temps la même méthode que celle qu'elle a employée avec succès pour The Eternal Breasts, à savoir constituer un portrait par une succession de petites scènes. Pour une intimité dans un cadre constamment intimiste, ça fonctionne très bien. Pour une intimité emportée par les flots tumultueux de la grande Histoire avec un H majuscule, ce n'est pas le même truc.


Je pense notamment à la longue marche à laquelle sont contraints la protagoniste et ses proches dans de vastes et ardus extérieurs après la capitulation. La réalisatrice a envie de se lâcher, de faire durer pour donner toute son ampleur aux scènes. Les cadres naturels s'y prêtent à merveille. La musique ne demande qu'à servir dans ce sens. Et pourtant, elle se refrène. C'est dommage.


J'en finis vite fait avec les reproches.


Allez, il y a un côté studio qui donne un côté trop artificiel et cheapos pour certaines séquences supposées se dérouler en extérieurs. La fin qui conclut le tout avec la tragédie du suicide de la fille du personnage principal (pas de spoiler, un flashforward au tout début l'annonce !), car les événements qui ont poussé à cela sont exposés d'une manière trop floue et trop expédiée pour que la puissance bouleversante potentielle puisse avoir la possibilité de se dégager pleinement (c'est peut-être dû au fait qu'à l'époque de la sortie du film, c'était plus que récent et par égard aussi pour la mère endeuillée en étant vague sur sa part de responsabilité dans ce geste irréparable !). Pareil pour l'addiction de l'impératrice à l'opium (lorsqu'elle souffre d'un manque en prison !) qui n'a aucun impact émotionnel parce qu'elle n'a pas été du tout abordée auparavant (ça aurait eu plus de force si sa toxicomanie avait été mise en relief lors des passages à la cour !).


Allez, les qualités pas déjà évoquées.


D'abord, merci pour le respect des langues. Les personnages parlent japonais quand ils doivent parler japonais et chinois quand ils doivent parler chinois. Je sais que c'est tout con, mais les metteurs en scène se croyant dispensés de respecter cette règle sont loin d'être rares et ça me gonfle (je fais mention uniquement aux films où il y a des caractères de plusieurs nationalités se côtoyant ; par exemple, une production américaine avec une distribution anglophone incarnant tous des personnages de la même nationalité, même si celle-ci est non anglophone, ne fait pas partie des œuvres méritant ce reproche !).


Ensuite, quand il s'agit de montrer la rigidité des codes régissant la vie des membres de la caste impériale nippone d'avant 1945, de plonger notre héroïne dans une atmosphère royalement étouffante, Tanaka se montre inspirée. J'ai apprécié cet aspect particulièrement réussi.


Au début, la famille du personnage principal, malgré son rang dans la société, est représentée, comme étant assez libre et souple point de vue relationnel. Faire un petit coucou de la main à un domestique quand on passe devant lui n'a rien d'inconvenant. Par contraste, quand le personnage principal est mis en présence d'un proche d'Hirohito (par contre, dans ses cas précis, Tanaka n'hésite pas à s'étendre et c'est très bien pour accentuer la pesanteur voulue !), c'est salutations à dix mètres, ployage de cou à s'en péter la nuque tout du long d'une conservation pendant laquelle le moindre mot a été bien rabâché pour que l'échange apparaisse d'un solennel assommant. Il y a une multitude de détails subtils qui soulignent tout ceci (à l'instar de la lourde "couronne" de mariage que la future princesse a du mal à maintenir sur sa tête lors de la cérémonie !).


Bref, La Princesse errante n'est pas maîtrisé entièrement, mais ses quelques belles qualités (y compris celles au sein des défauts !) suffisent à en faire un tout plus que digne d'intérêt.

Plume231
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le 30 avr. 2022

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Plume231

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