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Écrire un papier sur La Rafle de Rose Bosch est vraiment chose délicate...
En effet, si le film est très ambitieux d'un point de vue historique, d'une vrai force émotionnelle et également d'un apport pédagogique non négligeable, il reste néanmoins, d'un point de vue cinématographique, assez médiocre mais il serait finalement assez malvenu de le descendre "à chaud"...

On ne peut pourtant pas nier que, durant les vingt premières minutes, la cinéaste nous débite exactement le pire de ce que l'on peut imaginer: un montage alterné systématique et horripilant de scènes de famille et de voisinages trop idylliques pour être honnêtes et d'autres scènes où, dans les couloirs des ministères et de la Gestapo, se trame l'ignoble plan d'épuration.
Les deux aspects sont absolument ratés, l'alternance sensée créer une tension est totalement factice et ne suscite que l'agacement. La reconstitution historique amidonnée évoque les pires nanards récents façon Les Choristes (le petit héros est d'ailleurs de ce point de vue assez énervant et jamais très convaincant), le casting est un poil trop copieux et popu pour être honnête (ne manquent que Kad Merad, Dany Boon et Clovis Cornillac pour compléter le tableau) On craint alors vraiment le pire...

Les scènes de petits déjeuners familiaux auxquels ne manque que l'ami Ricoré, les name-dropping maladroits (Monsieur Bousquet par ci, Maréchal par là...) et les ponctuations de réflexions antisémites des collabos de service, où, à l'inverse les gentilles mais molles protestations des "amis des juifs" toutes deux trop ostentatoirement destinées à éviter le manichéisme...
Bref tout ces défauts contribuent à construire un vrai navet et cette alternance dans la mise en scène ne révèle que l'impuissance de Rose Bosch à planter un décor historiquement réaliste tout en nous faisant le portrait attachant d'une poignée de protagonistes.
On peut d'ailleurs légitimement se demander si cette introduction était vraiment nécessaire et si le film n'aurait pas gagné à entrer directement dans le vif du sujet en démarrant directement par la rafle...

Car, il faut bien le dire, dès les premières secondes de la reconstitution de la rafle, lorsque la concierge (Catherine Allegret, formidable) crie "Ils sont là, ils arrivent !!!" la mise en scène change radicalement, Bosch oublie l'amidon et elle filme caméra à l'épaule et dans un montage nerveux, avec beaucoup de force, la terreur, la panique et parvient à nous faire ressentir violemment toute l'horreur de cette sinistre nuit.
Les poils se dressent sur les avant-bras, les larmes montent et ils faudrait vraiment avoir un cœur de pierre, une âme de merde et du caca dans les yeux pour ne pas voir le talent déployé dans cette longue scène et l'émotion puissante qui s'en dégage.
On pourrait juger douteux le fait que la mise en scène de Rose Bosch ne s'épanouisse finalement que dans la violence et l'horreur, mais on ne peut tout de même pas lui reprocher de saisir enfin son sujet à bras le corps. Car tel est bien le sujet de La Rafle, la violence, l'horreur absolue, l'injustice et cette incroyable barbarie à visage humain.

Le reste du film garde constamment une belle (mais molle...) honnêteté même si l'on retrouve parfois ça et là les maladresses des premières minutes. La mise en scène ne brille guère par sa sobriété, c'est là son principal défaut et elle tire bien trop souvent les ficelles du mélo avec facilité et un flingue braqué sur la tempe du spectateur en guise de chantage à l'émotion. Mais le film reste souvent prenant et vraiment bouleversant et laisse souvent le spectateur pantelant, noyé de larmes et la gorge nouée de colère et de chagrin mêlés.
On peut donc regretter que le film ne soit pas exactement à la hauteur de ses immenses et louables ambitions mais il reste cependant un témoignage historique salutaire et une œuvre très pédagogique taillée au moins pour les cours d'histoire.
En ces temps où les discours (ou l'ignorance...) des adolescents sur ces sujets font parfois frémir et où la France stigmatise les arabes, craignant visiblement "L'Islamisation" de notre "Douce France", ce n'est déjà pas si mal... et la cinéaste parvient même à rendre son sujet universel et à lui insuffler des résonances contemporaines...
J'ajoute qu'il est toujours bien de remettre le nez de La France dans son caca, surtout en ce moment !

Le film, en cela au moins, n'est ni vain, ni accessoire...

Et puis de magnifiques présences féminines illuminent l'écran tout au long de la projection: Anne Brochet et Sylvie Testud, bouleversantes, Catherine Allégret, Raphaëlle Agogué, Isabelle Gélinas, Mélanie Laurent, vraiment bien dans ce beau rôle d'héroïne ordinaire et même Franziska Schubert dans le rôle d'Eva Braun...
Peut-être d'ailleurs que Rose Bosh devrait se pencher sur cet aspect de son cinéma et de son immense talent à filmer et à diriger les femmes pour un prochain film.
Toutes les scènes du beau personnage d'Anna Traube, interprété par l'excellente Adèle Exarchopoulos, sont absolument captivantes et emplies d'un suspense et d'une force vitale très étonnantes.

N'oublions donc pas qu'il s'agit d'un premier film et qu'il en contient les maladresses inhérentes...
On peut tout de même regretter que Rose Bosch n'ait pas choisi pour cet important sujet de se faire d'abord un peu les dents sur un premier projet, plus modeste avant de se jeter directement dans la cour des grands sans en avoir pour le moment les moyens...

Mais le film devrait cependant toucher le public qu'il vise en premier, les jeunes et ce que l'on appelle le "Grand Public", et c'est là finalement le principal car il n'est certes pas destiné à la critique et à une poignée de cinéphiles et devrait sans doute rencontrer un beau succès en salle.
Ce que je lui souhaite, malgré mes quelques réserves...

Il faut également dire un mot sur la magnifique musique originale de Christian Henson qui a l'intelligence de ne pas noyer le film sous les violons mais au contraire de l'illuminer de belles compositions au piano, tout aussi émouvantes mais plus discrètes et donc décentes...

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le 9 août 2014

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Foxart

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