La Reine des Neiges II
5.8
La Reine des Neiges II

Long-métrage d'animation de Chris Buck et Jennifer Lee (2019)

Après séance – Vu le 26 novembre 2019 (J6)


Le concept de cycles climatiques n’a jamais été aussi concret… Vous souvenez-vous de l’hiver 2013 ? Moi, je m’en rappelle. Bien qu’il fût parmi les plus chauds enregistré depuis 1900, une reine « d’un nouveau genre » a cueilli le monde à froid. Une véritable avalanche rendant la France complétement folle d’Elsa et son « Libéréééée, délivrééééée » glaçant le sang. Les gens découvraient aussi Anna, Olaf, et s’en foutaient de Kristoff (clairement en-dessous comme perso, et ce n’est pas le second opus qui va redresser la trajectoire…). Bref, j’imaginais cette horrible période polaire derrière nous, mais la vie est un éternel recommencement. La reine des neiges est de retour, et rien que de l’écrire, j’en ai froid dans le dos.


Trois ans après les événements du premier film, Elsa est toujours à la tête d’Arendelle. Trois années durant lesquelles elle n’a transformé personne en statue de glace ni installé un hiver en plein été. Autant dire que les habitants de la paisible bourgade sont heureux, inquiets mais heureux. Il y en a même certains qui tiennent des compteurs, celui des « jours sans connerie de Reine Elsa » affiche 1157, c’est beau. Seulement voilà, ça la démange…



SUR LE FOND : 2 étoiles



Après un subtil flashback campant les éléments d’intrigue (la tribu des Northuldra, la forêt enchantée et la rivière d’Ahtohallan), Elsa se met subitement à entendre une voix. Bon ça va, pas le genre de voix à t’ordonner de trucider toute ta famille… Non, une gentille voix qui fait juste « Ah aaaah ah aaah ». Même si Elsa fait preuve de fermeté durant le premier couplet de Dans un autre monde :



Oui je t’entends, mais c’est non.



[...]



Tu peux hurler dans la nuit, mais jamais je ne répondrai.



Le refrain a finalement l’effet d’un neurolaser de Men in black puisque le morceau conclu sur :



Emmène-moi, je ne veux plus perdre une seule seconde.



C’est impressionnant de perdre toute forme de volonté en l’espace de trois minutes et vingt secondes. Bien sûr que c’est chiant d’entendre des voix, croyez-moi je sais de quoi je parle (creepy), mais de là à causer un cataclysme multi-dimensionnel mettant en rogne les quatre esprits élémentaires de la forêt, faut pas exagérer ! Bref, le film n’a commencé que depuis une quinzaine de minutes et nous pouvons déjà pointer du doigt son défaut majeur : l’écriture…


Punaise ! Qu’est-ce que c’est lourdingue voire complétement paresseux comme écriture. Au moins, là-dessus, on ne peut pas dire que la saga manque de cohérence. Le premier opus avait déjà le même problème, à savoir que toute l’intrigue est le fruit des erreurs, maladresses et/ou stupidités de ses protagonistes. Évidemment, Elsa en tête. Parce que visiblement, après avoir transformé Arendelle en Laponie et glacé le cœur de sa sœur façon SubZero dans le premier film, la petite a encore envie de s’amuser !


L’apocalypse déclenchée par Elsa, qui ne sait ni comment ni pourquoi elle l’a fait, n’est qu’un exemple parmi tant et tant d’autres. Si bien que le spectateur risque carrément la crampe aux muscles corrugateurs à force de froncer les sourcils et lever les yeux au ciel ! Toute l’histoire, absolument toute l’histoire est déroulée grâce à des décisions stupides ou à des révélations divines sortant de nulle part. Et comme Jennifer Lee, coréalisatrice mais surtout scénariste de La reine des neiges 2, n’a pas daigné construire un minimum son intrigue, je ne vais pas me gêner non plus. Ci-dessous, un petit worst of :



  • Le réveil des esprits suite à l’attaque spéciale en mode « La ferme, c’est magique » ;

  • Grand Pabbie qui déboule pour prévenir mystérieusement que « seule la vérité sur le passé peut résoudre la situation » ;

  • Anna qui n’est pas fichue de comprendre qu’elle n’a pas de pouvoir et qu’elle ne peut pas traverser les flammes ;

  • La présence incompréhensible du bateau dans lequel a péri les parents d’Elsa et Anna (point soulevé directement dans le film par les personnages principaux…) ;

  • La « mémoire de l’eau » qui, en plus d’être une propagande scandaleuse pour l’homéopathie (on y reviendra), est surtout une facilité scénaristique de bas étage utilisée à nombreuses reprises ;

  • La logique implacable de balancer sa petite sœur dans un bobsleigh tout droit vers des géants de pierre psychopathes afin de la « protéger » ;

  • Le fait que l’esprit, la pensée, le souvenir, le fantôme (fais toi plaisir, choisi) de la mère d’Elsa l’attende dans la rivière d’Ahtohallan pour lui donner la suite du scénario ;

  • La glaciation spontanée d’Elsa pile au moment où on manquait un peu d’enjeu ;

  • La capacité tout fraiche d’Elsa d’envoyer un snap-glace à sa sœur ;

  • Le retour d’Elsa pour sauver Arendelle en trois minutes alors que l’aller a pris deux jours ;

  • La disparition pure et simple du tsunami, une solution prometteuse au réchauffement climatique et à la montée des eaux…


Bien sûr, cette liste n’est pas exhaustive. Et bien évidemment, je fais preuve de beaucoup de mauvaise foi. J’ai parfaitement conscience que rechercher la cohérence absolue n’a aucun sens, surtout dans un film d’animation pour enfants me direz-vous. Pas faux, mais ce n’est pas parce que le public cible est clairement les 6-10 ans, que Jennifer Lee était défendue d’écrire une histoire avec un sens, un enjeu et qui ne crache pas à la face de ses propres règles. Le scénario est une véritable catastrophe. Déjà, il y a 30% digne d’un Luc Besson. Les quatre pierres représentant l’eau, le feu, la terre et l’air avec le cinquième élém… esprit (pardon) au centre, ça ne vous rappelle vraiment rien ? Mais en plus, les 70% restants sont osef, prévisibles et sans aucun enjeu. Sans réel antagoniste, Jennifer Lee n’a que les erreurs de ses personnages et leur réparation pour dérouler son intrigue.



If you don’t want me to chase you into fire, then don’t run into fire !



Parlons des personnages justement, qui sont tous plus insupportables les uns que les autres… Elsa par exemple. Comme pour le premier film, les intentions sont nobles, celles d’offrir un conte affranchi des codes traditionnels Disney, plus « féministe », mais c’est malheureusement fait avec la finesse d’une pelleteuse à neige… Le changement de tenue et de coiffure pour illustrer les variations d’humeur, au bout de la quatrième fois, c’est lourd. Surtout qu’avec des personnages dont les yeux occupent 80% du visage, il y a moyen de communiquer des émotions sans changer de robe, non ? Constamment chafouine, l’égoïsme d’Elsa n’a d’égal que la jalousie d’Anna. Sous prétexte d’un amour fraternel inconditionnel, Anna se met constamment en danger à vouloir toujours participer à tout, et ne comprend pas qu’elle est le mouton noir de la portée.


Pour Kristoff, les scénaristes avaient deux possibilités : rejoindre les univers Disney et Marvel et le faire disparaitre dans le snap de Thanos… Ou lui donner une mission inutile pendant tout le film pour qu’il nous les lâche un peu. Et avec un peu de chance, ça pourrait même devenir un petit running gag. Bingo ! La demande en mariage occupe la quasi-totalité des interventions de Kristoff et donne lieu à une parodie de boys band complètement naze. Même si ça participe à l’auto-dérision relativement présente dans La reine des neiges 2, ça sort de nulle part comme pour la plupart des chansons (on aura d’ailleurs l’occasion d’y revenir). Olaf est également relégué au rôle de comic relief sans grand intérêt. Est-ce efficace ? Oui, c’était la grosse déconne pour les moins de huit ans. Mais globalement, le personnage manque de seconde lecture. Son traitement en mode philo de fond de comptoir est incompréhensible et n’apporte rien au récit. Entre « ne joue pas avec le feu » et « un jour, je n’aurai plus peur du noir », les jolies têtes blondes auront le droit à trois ou quatre propagandes Boiron #homéomonchoix bien costauds. Alors oui, c’est vrai qu’il y a 80 ans, le remède miracle c’était le bisou du prince. Mais à cette époque, aucun charlatan n’essayait de vendre le bisou magique comme une science. On est pourtant assez proche en termes d’efficacité et d’effets.



Did you know that water has memory ? True fact. It’s disputed by many, but it’s true.



Bref, La reine des neiges 2 est peut-être ce qui s’est fait de pire chez Disney en termes d’écriture. Il y a parfois de bonnes intentions, mais aucune inventivité pour rendre l’intrigue digeste. On a besoin d’une forêt enchantée ? Pouf ! On la met là, à 2 heures de carrosse, mais personne n’est tombé dessus en 34 ans (on appelle ça la géographie Dragon 3…). Il faut que nos héros partent sauver Arendelle pendant deux jours ? Pas de soucis ! Les habitants vont attendre sur leur colline, droits comme des piquets. Dans le genre figuration docile, c’est du caviar, à moins que ce soit les dessinateurs qui aient eu la flemme d’ajouter quelques campements pour tenter de nous y faire croire un peu… Et en soi, l’idée globale que les anciennes générations aient été stupides et ce soit aux nouvelles de réparer leurs erreurs quitte à briser quelques symboles, ça se tient. On pourrait même y prêter un message écologique… Mais là, j’ai vraiment l’impression de forcer pour lui faire mériter ses deux étoiles…



SUR LA FORME : 5 étoiles



Bon, au moins on pourra se rassurer en se disant que c’est beau, bien réalisé et que les musiques sont trop cools… Mouais. Alors, c’est sûr qu’en termes d’animation, c’est plutôt pas mal. Mais il faut remettre les choses dans leur contexte. La reine des neiges 2 est produit par une équipe de 800 personnes, dont 80 uniquement pour les animations. Et avec un budget de 150 millions de dollars, le fait que ce soit plutôt pas mal est le minimum auquel on est en droit de s’attendre. C’est vrai qu’il y a quelques petites choses sympas, comme les effets climatiques qui sont traités comme des personnages à part entière. Les effets aquatiques par exemple semblent vraiment réalistes, davantage que dans le récent Vaiana (que je n’ai pas vu), et nourrissent des scènes assez spectaculaires.


Plus globalement, on ne peut pas dire que cela soit moche visuellement. Après un premier opus plus blanc que blanc, La reine des neiges 2 propose une photographie clairement automnale, souvent rousse, ocre ou tirant vers le brun. Cette ambiance (visible dès la sortie de l'affiche) et les nombreuses scènes nocturnes confèrent à cette suite une identité beaucoup plus sombre que le premier film sorti en 2013. On peut noter aussi quelques scènes sur fond noir un peu en mode projection astrale, un procédé assez rare pour le souligner dans ce genre de production. Mis à part cela, pas grand-chose de neuf par rapport à La reine des neiges. Preuve que l’originalité n’était pas à l’ordre du jour chez Disney, on retrouve le duo Chris Buck et Jennifer Lee à la réalisation. Ils nous pondent donc un film qui capitalise sur le succès de « l’original » en multipliant les auto-citations et autres références subtiles… On peut également noter la place dérisoire des nouveaux personnages (Lieutenant Matthias, Yelana, Honeymaren, Ryder) qui ne peuvent exister dans un film qui se regarde autant le nombril, effrayé à l’idée de faire quelque chose de neuf. Clairement, Disney n’avait pas l’intention de sortir une œuvre à vivre, mais uniquement un produit à vendre.



We have always feared Elsa’s powers were too much for this world. Now we must hope they are enough.



C’est un tableau un poil cruel, mais force est de constater que Disney ne sait toujours pas gérer les suites directes à ses gros succès. Je ne citerai que quelques exemples issus de cette dernière décennie : Cars 2, Monstres Academy, Le monde de Dory, Ralph 2.0… Ce ne sont globalement que des suites opportunistes, assez superficielles et franchement inutile. C’est en réalité pire que ça, il ne s’agit plus de gérer artistiquement des franchises cinématographiques, mais seulement d’exploiter économiquement des filons commerciaux. Et ça saute aux yeux dans La reine des neiges 2. Pourquoi se casser la tête à écrire un vrai scénario, tant qu’on peut caser les futurs jouets des gosses ? C’est comme ça qu’on se retrouve avec un Olaf, clairement secondaire voire tertiaire à l’histoire, mais qui occupe l’écran quasiment la moitié du film. Ou avec un esprit du feu tout choupy canon facile à décliner en produits dérivés…


Au passage, une salamandre de feu. Une SALAMANDRE de FEU !? Bordel, il fallait oser !


Alors, si autant le talent artistique chez Disney peut se discuter, leur capacité à faire du fric à moindre effort est incontestable. Il n’y a qu’à voir les chiffres que réalise La reine des neiges 2, explosant les scores de son ainé au box-office. Deux millions de tickets en une semaine rien qu’en France et des recettes mondiales qui se rapprochent du milliard. Par rapport à la qualité du film, c’est assez déprimant. Et ne pensez pas que je suis un anti-Disney radical, absolument pas. Je préfère préciser parce que je n’en ai pas fini… Ahah


En effet, je n’ai pas encore abordé les musiques de cette suite. Comment passer à côté, tant Libérée, délivrée était devenu un phénomène dans le monde entier, primé aux Grammy et aux Oscars. A la sortie de la salle (qui date maintenant, un peu plus et j’aurais pu écrire « l’année dernière »…), j’aurais probablement déploré des chansons pas aussi marquantes que dans le premier opus. Avec du recul, j’avoue que certains titres ont un potentiel à rester en tête et à me faire chantonner toute la journée proche de Petit poney ou du thème de Guile, ce qui est pas mal. Plus sérieusement, les musiques Dans un autre monde et Je te cherche réutilisent intelligemment le « son de l’esprit » (c’est plutôt l’inverse en réalité). Personnellement, je trouve que Je te cherche est la chanson la plus intéressante du film, aussi bien dans sa structure musicale que dans sa charge émotionnelle. C’est surtout une des seules qui a profondément un sens et qui s’intègre dans le récit. Je ne parle même pas ici du sous-texte potentiel de coming out, qui est une évidence pour certains.



Je suis prête à faire le grand saut.



[...]



J’étais sur une autre planète, étrangère même chez moi.



Mais aujourd’hui je change de vie, je sais enfin pourquoi.



Je te cherche est une des rares exceptions au constat global : les musiques craignent. Disney perd ici une de ses marques de fabrique, ce qui faisait la différence par rapport aux autres studios, à savoir son pouvoir de narration musicale. Lorsque c’est bien fait, les musiques s’intègrent parfaitement au récit et sont utilisées comme véhicules émotionnelles. Elles servent à transmettre les émotions des personnages, donner des éléments d’intrigues… Dans La reine des neiges 2, tout cela est perdu. Les chansons arrivent de nulle part et repartent sans aucune raison, sans avoir fait avancer l’histoire d’un iota. C’est le cas de Quand je serai plus grand, la musique d’Olaf ou de J’ai perdu le nord, la parodie boys band interminable de Kristoff… Je ne suis pas du tout client des films chantés, certes, mais là, les deux tiers des musiques ne servent qu’à justifier la sortie d’un album CD (si tant est que ça existe encore) et c’est franchement décevant.


Je préfère volontiers me réécouter Il en faut peu pour être heureux ou Hakuna Matata (l’original hein)…


Bonus acteur : NON


Malus acteur : NON



NOTE TOTALE : 3,5 étoiles


Spockyface
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le 10 déc. 2019

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