Être seul avec soi-même pour se retrouver.

Être seul avec soi-même pour se libérer.

Être seul avec soi-même pour exister...

Loin de se plier à un quelconque exercice de style vaguement contestataire, Tony Richardson prend le parti de s'intéresser à la révolte intime de la jeunesse prolétaire. C'est ce qui en fait aussi bien sa force que son originalité. Véritable joyau du Free Cinéma, The Loneliness of the Long Distance Runner réalise la prouesse d'aborder la condition de la classe populaire britannique, et le mal-être de sa jeunesse, en s'immergeant simplement dans la tête de l'un de ses représentants. Un choix artistique audacieux qui tranche avec la narration classique des films sociaux et qui nous permet, surtout, de bien comprendre le malaise qui gagne cette jeunesse : en connexion constante avec l'esprit du personnage, partageant avec lui ses doutes, ses peurs ou ses frustrations, on devient, par la force des choses, le témoin privilégié de son cheminement personnel, jusqu'à la révolte et l'affirmation de sa personnalité.

Le personnage en question se nomme Smith ; un patronyme désespérément trivial pour un banal fils d'ouvrier. Il n'est ni meilleur ni pire que les autres ; il ne possède aucune qualité qui pourrait le différencier de la masse et faire de lui le symbole de tout un peuple. Richardson se donne beaucoup de mal pour ne pas en faire un "héros", histoire de donner une portée universelle à son propos. Cependant, le jeune Smith possède une qualité physique qui lui est propre : c'est un excellent coureur. Et c'est à travers la course, sport individuel par excellence, que le jeune homme va se révéler. Richardson exalte donc, à travers ces séquences, la liberté physique, avec la vision de cette silhouette longiligne qui communique enfin avec son environnement, et surtout la liberté psychologique, avec l'émergence d'une réflexion enfin personnelle. Ces moments de solitude sont, finalement, les seuls où notre bonhomme ne sera pas soumis à son milieu. Sans ses chaînes, réelles ou symboliques, il va enfin pouvoir goûter à la douce saveur de la liberté et, à son contact, évoluer, mûrir, s'affirmer et se révolter. Cette impression de liberté, qui envahit soudainement le personnage, est représentée à l'écran par l'émergence d'une belle dimension onirique (avec notamment un joli travail sur la photo), au détriment du style documentaire imposé, dès le début, par le cinéaste. Mais, la liberté est également un désir qui grandit peu à peu dans l'esprit de Smith, lorsque celui-ci, au gré de ses rêveries, se rend compte qu'il a toujours porté des chaînes aux pieds. Une série de flashback va ainsi nous illustrer ce triste constat, en nous le montrant aussi bien soumis au système pénitencier (avec notamment ce directeur qui lui impose ses propres désirs) qu'à sa classe sociale (avec un père qui lui laisse une vie de labeur comme seul héritage ou encore des fréquentations qui vont l'entraîner dans le larcin).

Une démarche remarquablement bien mise en scène par Richardson qui dépeint avec un même cynisme les grandes institutions que la classe populaire. C'est fort, virulent et terriblement désillusionné ! En cela, The Loneliness... est une bien belle réussite et, sans aucun doute, l'un des meilleurs films issus du Free Cinema. Seulement, il possède également les défauts de ses qualités ; et on peut regretter une certaine froideur et un certain formalisme, qui sont autant de frein à l'appréciation globale. Ça manque d'un petit supplément d'âme pour pouvoir vraiment nous emporter. Fort heureusement, c'est sur la fin que The Loneliness... impose sa pleine puissance avec la rébellion pleine de panache de Smith. La dernière image nous le montre à une place qu'il s'est lui-même adjugée, au milieu des siens, plein de dignité.


Créée

le 18 août 2023

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Procol Harum

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