Marlon Brando signe ici un western mythique, autant par son contenu que par sa genèse, sans doute plus connue que le film lui-même.
Très vite, Brando se plonge dans ce projet qui lui tient à cœur et congédie entre autres Kubrick et Peckinpah pour réaliser lui-même le film, sans expérience aucune.
Catastrophe pour la production : le budget triple, le tournage initialement prévu pour 6 semaines dure 6 mois.
Brando veut tirer le meilleur de ses acteurs et de leur environnement, tournant, retournant encore les scènes, multipliant les prises. Extrêmement pointilleux, exigeant et perfectionniste, attentif aux moindres détails, il demande aussi à ses acteurs d'improviser, pour atteindre le mot, le geste juste : l'état de grâce.
300 km de pellicule plus tard, Marlon Brando propose sa version aux studios : le film dure 4h40.
Les producteurs le forcent à tourner une autre fin et remontent le film. La version sortie en salles dure 2h20, ce qui est déjà énorme pour un western.
Marlon, furieux, claque la porte. On ne l'y reprendra plus.


Vengeance aux deux visages est pourtant extraordinaire. Dans tous les sens du terme.
Ce western n'a rien à voir avec tout ce qui s'est fait avant, rien à voir non plus avec tout ce qui se fera après.
S'il semble de prime abord classique : Après un braquage, alors qu'il sont poursuivis par la milice mexicaine, Rio est trahi par Dad, son mentor et ami. Il s'évade de prison cinq ans plus tard, bien décidé à se venger et retrouve Dad qui, de bandit comme lui, est devenu sheriff… avec ce fil conducteur qu'est la vengeance, le scénario s'éloigne des codes du genre. Dad et Rio se retrouvent assez tôt dans le film. S'engage entre eux un jeu de dupes, où règnent les faux-fuyants et les mensonges. Leur duel final est évacué en quelques secondes. Ici, tuer ou mourir n'est pas, ne peut pas être un acte héroïque.
Les deux personnages principaux sont d'ailleurs loin d'être des héros, rongés par la haine qui les pousse l'un contre l'autre. Ils sont complexes et nuancés, loin de tout manichéisme.
Rio lui-même est très ambivalent : menteur, dévoré par la haine et immoral, prêt à tromper une femme innocente pour atteindre son ennemi mais aussi chevaleresque, capable de se mettre en danger pour les autres.
Quant à Dad, il représente la figure d'autorité, le père pour Rio qui cherche pourtant à le tuer.
Mais c'est Rio, le voleur, le vagabond, le marginal qui est en réalité la victime face à ce puissant injuste, à qui sa trahison a permis de s'acheter une respectabilité, de devenir père de famille bienveillant, shérif qui incarne donc la loi, appuyé par toute une ville.


Le western, souvent qualifié de "psychologique" en raison du soin apporté aux motivations de ses personnages et à leur évolution, se distingue également par le choix de décors (l'action se situe d'abord au Mexique puis à Monterrey au bord de l'Océan) et par son rythme très lent, contemplatif où les rares éclats de violence, parfaitement maîtrisés se révèlent, par contraste, très impressionnants.
Le lyrisme du film (je pense aux très belles scènes entre Rio et Luisa) coexiste avec un humour noir, assez "western spaghetti" : la scène d'ouverture avec les bananes (à voir absolument), les techniques de séduction et mensonges de Rio…
Le film a donc une couleur et un ton très particuliers : sombre et lent, intimiste et violent, lyrique et ironique tout à la fois.


Il est en outre servi par une distribution impeccable, qui participe à sa force.
Marlon Brando, tout en retenue, campe un Rio froid et distant, inquiétant dans ses colères comme dans ses silences, menteur et séducteur.
Karl Malden compose le bandit repenti mais inchangé jouant le rôle du notable respecté. Il livre une superbe performance, pleine de finesse et de force.
Pina Pellicer, éloignée des standards de beauté hollywoodiens, donne sa voix grave, ses yeux tristes et son visage doux à une Luisa bouleversante.
Au niveau des seconds rôles, Katy Jurado, Ben Johnson ou Slim Pickens, chacun dans leur registre incarnent des personnages crédibles et marquants, tous très bien joués.


Je ne peux m'empêcher de regretter que Brando n'ait pas renouvelé l'expérience…
Reste un film torturé, étrange et beau, difficilement classable, à l'image de son auteur.

pyrrha
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le 1 nov. 2019

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pyrrha

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