1960, année à marquer d'une pierre blanche pour le cinéma français?
Dominée par une sainte Trinité dont le Fils indigne serait A bout de souffle de Jean-Luc Godard ,l' humble "Saint-Esprit" Le Trou de Jaques Becker, et le"Père fouettard" La Vérité d'Henri-Georges Clouzot.


Son dernier grand film,aboutissement de son Talent, d'un processus initié par la petite porte de la comédie policière, L'assassin habite au 21.
Clouzot a l'expérience et une position dans le cinéma français, qui lui permet de faire ce qu'il veut, comme il veut, avec une réelle possibilité d'influencer la société.


Le jeune homme ambitieux à ses débuts, derrière le paravent de l' aimable comédie policière portée par la fausse ingénuité de Suzy Delair, ne dévoilait alors qu' à petite dose le poison de son jeu: la vérité sur "le Mal" est qu'il est en chacun de nous et que nous ne savons pas le reconnaître.


Le Corbeau reprit le dispositif policier, le déployant sur une communauté entière, faisant monter la tension comme jamais aucun film français ne l' avait fait jusque là. Il préfigurait déjà ce procès de la société française auquel il veut en venir ici. Vichy et la Résistance ne s'y trompèrent d'ailleurs pas condamnant chacun de leur point de vue l' objet du Délit, plaçant ainsi Clouzot dans sa position de l' Artiste libre.


La Vérité s'attaque à l' hypocrisie de la société française de l' époque,met en procès les malheurs qu'elle peut faire. Le public, pardon les jurés, se déplaça en masse pour y assister. Plus de 5,6 millions de personnes, son meilleur score après Le Salaire de la peur (a)


Pour jouer l' accusée, le Machiavel du cinéma français choisit à dessein celle qui est déjà un mythe . Il organise ainsi la promotion du film et à l' intérieur du film le procès du "mythe", à qui l'on demande justement si elle va montrer la "vérité nue". (b)


Les pièces du puzzle en place, le jeu peut commencer. Le tyran des plateaux (c), créateur sans imagination ( son plus cruel manque selon son entourage) déniche le fait-divers à partir duquel allumer le feu. L'histoire de Pauline Dubuisson, qui ressemble davantage à une Marie-Josée-Nat émancipée, qu'à l'agaçante blonde BB. Mais pour atteindre le public de sa Vérité, Clouzot use du mentir-vrai de l' Artiste.
Il manqua toutefois peut -être ici de courage artistique, à moins qu'il n'ait tenu absolument à se servir de Bardot, pour d'autres raisons encore que sa notoriété. Le personnage créé est assurément moins intéressant que la personne originale, plus complexe, moins spectaculaire, qui inspira à Philippe Jaenada, un livre-enquête La petite femelle .


Qu'importe, la Bardot qui ne m' a jamais transporté, est ici formidable dans son rôle de fille perdue, d'adolescente en pleine crise dirait-on aujourd’hui, psys à la barre...
Le procès peut avoir lieu: celui d'une jeunesse en quête d 'émancipation par une vieillesse accrochée à ses principes comme à une vieille peau de bique. Et le vieux Clouzot ( cinquante-trois ans, cardiaque en sursis) de prendre parti, jouant magistralement de la froide théâtralité de la Machinerie des Assises. L'alternance entre la reconstitution de la vie de l' accusée et son procès produit un effet de respiration/apnée, de chaud/froid, de figé/mouvementé, de calme/tempête sans que les deux parties ne soient étanches, les choses pouvant s'inverser, la vie éclater au procès, et la mort régner sur le destin en marche de Dominique Marceau ( une Meursault, une "étrangère" à la Camus ).
Le dosage est parfait, le portrait de la jeunesse permet au vieux briscard de faire admirer sa technique pour animer les séquences de groupe ( Sautet s'en inspira? ). La vivacité du rythme, le soin apporté au dialogue font presque illusion, regardez quelques minutes du film de Godard et vous sentirez à quel point Clouzot a fabriqué. Consciencieusement fabriqué son tableau de la jeunesse vu d'un vieux.
Un truc qui lui fait dépasser son métier, où il parvient à dépasser ce classique conflit de génération, c'est son questionnement sur l'Amour. Je crois que c'est ce qui l'a le plus passionné dans le film. Davantage que la vérité sur le crime, passionnel ou prémédité? Alors certes, on retrouve son métier dans la reconstitution maniaque des étapes, la rencontre, les rebuffades, l' amour qui démarre, la cristallisation, la Passion, le déclin qui frappe comme la foudre, le retour de flamme, le dépit, la souffrance de l' absence, les jalousies provoquées et subies, l'incompréhension qui fait souffrir, les vérités qui se disent, celles qui se taisent, pourrissent à l'intérieur de nous détruisant cet amour de leur poison.
Il a recours au schéma classique du désir mimétique décrit pour la première fois par René Girard dans Mensonge romantique et vérité romanesque paru en 1961! Quel talent ce Georges! Excusez cette familiarité, mais voyez tout est là dans son film comme une illustration "antrospective". Dominique haïssait sa sœur par pure jalousie, et quand elle rencontre son fiancé, elle ne peut résister au désir de le séduire. Elle joue avec lui puisqu'elle veut le rendre fou, et par contre-coup jalouse sa sœur. Elle lui cède dans un moment de faiblesse, non calculé, et puis étrangement semble réellement tomber amoureuse. Suis-moi je te fuis, fuis moi je te suis; l'intensité des deux pôles n'est jamais équivalente, leurs relations font des étincelles, et une victime, la sœur, puis deux Dominique, et enfin trois, Gilbert. La Vérité tue. Détruit. Clouzot ne joue plus, Bardot non plus, à bout elle dit sa vérité, celle de femme, confond le procès de Dominique et le sien, Clouzot en a abusé, a eu ce qu'il voulait, et elle me fit couler une larme.


La gorge encore serrée j'entendrai le dernier mot du procureur me serrant alors le cœur, avant de vaincu rendre les armes à la vérité. Celle sortie ainsi de mes tripes et qui ne regarde que moi.
Salaud de Clouzot.


Salaud de Godard aussi, ta scène mythique du Mépris( trois ans plus tard) génialement inspirée d'une scène de Clouzot. Et mon cul c'est du poulet résonne alors à mes oreilles comme une déclaration d'amour tendre, je pense au Trou, résolument silencieux en comparaison, où rien n' éclate, tout reste à l 'intérieur malgré une tentative d'évasion, et je me dis enf... de Clouzot quand même qui me fait comprendre par ricochet les autres membres de la Trinité, cet "A bout de souffle où l'on ne cherche pas à se faire croire qu'on s'aime, où Meursaut/Poiccard vole et tue par désœuvrement presque, l' ennui étant l' ennemi, le silence de Dieu le tourment, l' ennui à en crever d'une vie Sans Dieu, sans Amour, où ce voyou de Godard veut tuer le vieux cinéma de papa, avec la complicité de Jean-Pierre Melville, non sans lui avoir détroussé les poches... ce Fils indigne.
Et le Trou, cette illusion que la camaraderie va nous sortir de l' Enfer de la société, avant que la trahison du bourgeois, ce "pauvre Gaspard" ne jette un voile de désillusion.


RIP 1960, acmé du cinéma français.


(a)A bout de souffle** fait 2,2 millions d'entrées, le Trou est un four.
(b)entrevue à l' ORTF le 1er juin. http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu01209/brigitte-bardot-sur-le-tournage-de-la-verite.html, je trouve Bardot confondante de sincérité, même dans ses non-dits.
(c) extrait de l'entrevue précédemment citée.

PhyleasFogg
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le 10 nov. 2017

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