Trop belle, trop humaine pour eux

Par une peur obsessionnelle du crime impuni, l'inhumanité peut vite devenir un refuge pour ce petit monde, chargé de décider de l'avenir de ces gens qui, accusés, sont condamnés à affronter quoi qu'il arrive le regard d'hommes et de femmes mus par un désir aveugle et ardent de justice.

Seulement voilà, la Justice, ces individus en ont-ils une conception pure et vierge de toute autre passion ?

C'est justement cette interrogation que Clouzot développe tout le long de cette oeuvre extraordinaire, torturée, tragique et criante de Vérité, des Vérités, de la Vérité.

En plus de conférer au procès une intensité émotionnelle difficilement soutenable, Clouzot, par des flash-backs passionnants où les acteurs sublimes et la beauté des scènes triomphent, nous révèle petit à petit la nature, la vie et la personnalité de cette femme diabolisée, détestée, méprisée, raillée. Au fur et à mesure que la vie de Dominique se déroule sous nos yeux, l'immense injustice qui règne dans ce procès apparaît comme évidente, monstrueuse, révoltante.

Finalement, "La Vérité" ne se limite pas au milieu de la Justice, puisque ce film, en plus de nous révéler toute la cruauté des juges et de ces gens dans un procès où la misogynie est reine, dévoile une petite parcelle de la nature humaine. Rassemblés par un prétexte commun, les Hommes refusent de comprendre; Dominique, de plus en plus vulnérable, devient alors le pantin d'un numéro qui a perdu tout sens juridique. La tournure tragique que prit très tôt sa vie, sa sublime histoire d'amour déchirante et ambiguë, l'acte irréfléchi, irréparable, l'infinie tristesse qu'elle est condamnée à porter pour l'éternité et enfin sa beauté sont autant d'éléments qui provoquent dans cette salle l'explosion de toutes les frustrations les plus cruelles enfouies au fond de ces âmes pourries, ces âmes "qui n'ont pas vécu", qui sont déjà mortes comme le hurle Dominique dans une scène de désespoir, poignante, campée par une Brigitte Bardot incroyable de justesse dont le talent dramatique arrache même quelques larmes inattendues. On s'acharne sur l'accusée, l'aveuglement et la haine contribuent à la pousser à bout, à l'accabler jusqu'à ce que ses dernières forces s'épuisent. Seule face à toute la mauvaise foi du monde, Dominique se met à nu, entièrement, jusqu'au bout, et ne laisse d'elle qu'une âme meurtrie et éteinte, une âme déchirée et torturée sur laquelle aucun de ces hommes, trop occupés à se faire toujours plus immonde, ne daigne s'apitoyer.

Alors, Dominique finit par devenir entièrement, totalement victime. Victime de tout. Victime de la vie, de cet amour destructeur, de sa soeur, de ces hommes ignobles qui usent du prestige de leur habit pour détruire tout à fait cette femme qui a tout perdu.

Pourtant, en elle, La Vérité triomphe, a toujours triomphé. Au moins, elle, elle savait. Et de meurtrière, elle est devenue martyr.

Ce film est un chef-d'oeuvre absolu, humain, inhumain, d'une beauté et d'une horreur dévastatrices.
HugoLRD
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le 21 août 2014

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HugoLRD

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