L'impossibilité de la maturité, et tant d'autres choses encore !

Toujours à date le film le plus bouleversant de l'un des réalisateurs les plus singuliers produits par les Etats-Unis depuis belle lurette, "la Vie Aquatique" est à la fois une miniature colorée et parfaite, réalisée avec un savoir-faire "artisanal" qui recycle le merveilleux Fellinien (mais on peut aussi penser à Méliès lors de la scène magique du requin-jaguar, ce qui expliquerait d'ailleurs l'admiration que Scorsese professe vis à vis de Wes Anderson), autant que la grâce triste d'un Jacques Tati, et un éblouissant traité de désespoir, porté par des acteurs parfaits dans la tristesse nonchalante : ce sont ici certainement les meilleurs rôles de Bill Murray - dans son registre habituel, digne et hilarant -, d'Owen Wilson (révélant ici pour la première fois une fracture qui le désigne en victime du récit, fracture que sa vie personnelle dévoilera plus tard, malheureusement), et surtout de Willem Dafoe, à mille lieues de son habituelle intensité, inoubliable en psycho-rigide balbutiant de tendresse ! On peut comprendre que le ressassement obsessionnel d'Anderson, de film en film, sur l'impossibilité de la maturité (encore la faute des pères !) en laisse certains froids, mais qu'est-ce qu'on les plaint de ne pas arriver à pleurer à chaudes larmes avec nous sur le générique de fin... Je trouve "la Vie Aquatique" absolument bouleversant, parce qu'il nous parle si bien de nous-mêmes, de notre génération, de nos échecs, à travers la description façon "Ligne Claire" d'une bande d'énergumènes attachés à une idée fixe mais incapables de la suivre jusqu'à son terme : c'est qu'il est si facile de se laisser emporter par la distraction, les belles femmes, les vents contraires, le Campari et l'incohérence échevelée de nos projets ! Je veux aussi souligner l'excellence de la bande son (ah, "Search and Destroy" pour accompagner la scène avec les pirates !), et la jolie idée de faire jouer par Seu Jorge les chansons de Bowie en bossa nova, comme un commentaire décalé sur la fiction délirante... [Critique écrite en 2008, remaniée en 2015]

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le 14 oct. 2014

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Eric BBYoda

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