C'est fou ce qu'une place gratuite peut vous encourager à voir un film ! Ereinté par le battage médiatique autour d'une Palme d'or d'un festival jugeant d'avantage une oeuvre sur sa résonance avec l'actualité que sur ses réelles qualités, je n'avais pas vraiment envie de bouger mon joli petit popotin (il a été primé plusieurs fois) pour aller voir le nouveau Kechiche. Mais l'occasion faisant le larron...

Racontant grosso merdo la même chose que "Le bleu est une couleur chaude", la bande dessinée originale signée Julie Maroh dont est adapté le film, mais en changeant légèrement la portée et la finalité, Abdellatif Kechiche, comme à son habitude, délaisse l'aspect poétique et délicat de l'oeuvre de Maroh au profit d'une approche plus terre à terre, plus brute, sans aucune fioriture.

Etirant à l'infini ses scènes de vie quotidienne comme il l'avait fait pour "La graine et le mulet", poussant la patience du spectateur jusqu'à l'extrême limite, Kechiche recréer sous nos yeux une réalité palpable, celle de tout un chacun, donnant lieu à des séquences d'un naturel incroyable, renforcé par une interprétation impeccable, mention particulière pour la jeune Adèle Exarchopoulos, magnifique et de tous les plans, se livrant, avec la complicité d'une Léa Seydoux peut-être un peu plus comédienne, avec un abandon total qui force le respect.

Malheureusement, la démarche de Kechiche, consistant à coller au plus près de ses protagonistes, à saisir la moindre nuance dans le regard, le pore le plus infime, afin d'abolir définitivement la frontière entre l'écran et son audience fini par jouer en défaveur d'un film au propos pourtant passionnant. Il émane effectivement de l'ensemble un profond sentiment de voyeurisme, le spectateur (du moins c'est comme ça que je l'ai ressenti) se retrouvant dans la peau d'un intrus, s'insinuant dans la vie d'une jeune femme qu'il ne connait pas et qu'il s'amuserait à suivre et à épier tout en se caressant l'entrejambe. Sentiment de malaise amplifié lors de scènes de sexe abusivement explicites, jetant aux orties toute pudeur ou sensualité pour n'en retenir que le plus scabreux. Je suis d'ailleurs surpris que la censure française, pourtant la première à brandir une interdiction aux moins de 18 ans pour un rien (rappelez-vous l'inoffensif "Saw 3"), se soit contenter d'une interdiction aux moins de douze ans.

Si "Le bleu est une couleur chaude" m'avait profondément touché par sa tendresse et un certain onirisme, "La vie d'Adèle" m'a laissé plus perplexe, presque froid devant le spectacle qui s'offrait à moi. Dommage, tant le film de Kechiche retranscrit à merveille la pression sociale (qu'il s'agisse d'avenir professionnelle ou de sexe) et ce sentiment de ne pas appartenir au monde qui nous entoure, cette volonté de ne pas être défini par une simple étiquette, de ne pas se contenter d'une seule case.

Interminable dans sa dernière demie heure, parfois lourdingue (les cours forcément en lien avec le vécu actuel d'Adèle), "La vie d'Adèle" mérite cela dit le coup d'oeil, ne serait-ce que pour la sincérité de sa démarche aussi contestable soit-elle (à chacun de se faire sa propre opinion) et surtout, pour l'implication incroyable de ses comédiennes. Ca sent le César !

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le 14 oct. 2013

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Gand-Alf

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