La Vie des autres par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Critique publiée le 5 janvier 2014


Nous sommes au cœur de Berlin-Est en 1984 durant les heures les plus sombres du régime totalitaire où les intellectuels sont traqués de toutes parts. Gerd Wiesler, un capitaine de la tristement et célèbre "Stasi", est chargé de surveiller un couple d'artistes Georg Dreyman, dont les textes paraissent trop policés aux yeux des autorités, et la célèbre actrice de théâtre Christa-Maria Sieland. Cet ordre émanant du ministère de la culture, l'officier allemand va alors tenter d'espionner les moindres détails de la vie des deux artistes en les faisant suivre et en installant un système d'écoutes très sophistiqué dans leur appartement. L'officier allemand va remplir consciencieusement sa tâche tout en se laissant envahir par un sentiment d'admiration pour la valeur artistique de Georg et de Christa-Maria et la tendresse qui unit les deux êtres, situation jusqu'alors inconnue de Gerd Wiesler, célibataire.
C'est pourquoi, lorsque Georg, bouleversé par le suicide d'un ami réalisateur, fera paraître à l'aide d'une mystérieuse machine à écrire un article dans la presse de l'Ouest sur le nombre important de suicides en RDA. le capitaine de la "Stasi" n'interviendra pas. Il deviendra alors une cible pour ses supérieurs au même titre que les deux artistes d'autant que cet officier zélé est le jouet d'une terrible manipulation savamment orchestrée par le ministre de la culture, amoureux de Christa-Maria.


Voici un plongeon saisissant dans cette ambiance grise d'un Berlin-Est aux avenues imposantes et désertes bordées de grands immeubles aux façades sobres. Derrière certaines d'entre elles se trament des drames et se jouent les intrigues orchestrées par des régimes dont l'action ne peut que rappeler les pires moments de notre civilisation. Cette chasse ouverte par les autorités Est-Allemandes aux intellectuels soupçonnés de propos subversifs envers le régime en place est implacable. Les moyens déployés par le gouvernement communiste afin d'épurer la société de toutes idées contradictoires sont sans pitié et n'ont rien à envier aux régimes fascistes.
Ce film remarquable de Florian Henckel von Donnersmarck nous le montre de manière subtile au travers de ce couple d'artistes moralement torturés, contre lequel tous les coups sont permis pour faire taire toutes contestations ou analyses étant susceptibles de dénoncer ce régime à l'étranger.
Les soupçons et les dénonciations planent sur chaque citoyen et c'est dans ce climat de terreur et de suspicion que tente de résister l'élite intellectuelle du pays. Toutefois ce système peut avoir des failles et c'est le cas de cette intrigue dans laquelle on assiste à la prise de conscience progressive d'un capitaine chargé de basses œuvres qui, conquis par la tendresse du couple et admiratif de l'art communicatif d'une actrice et d'un écrivain, va se montrer clément à leur égard malgré les ignobles pressions de ses supérieurs. Il deviendra la cible d'un système bien décidé à faire taire Georg et Christa-Maria comme des millions d'autres êtres humains.


On ne ressort pas indemne de la vision d'un tel film. On est troublé, ému et révolté devant tant d'atrocités connues certainement de beaucoup de sommités de notre planète, mais cachées au monde pour de quelconques intérêts qui nous dépassent. C'est donc un formidable document au travers d'une intrigue des plus réalistes que nous présente Florian Henckel von Donnersmarck. Le décor d'une froideur absolue, cette musique intrigante et répétitive ponctuant des images inquiétantes nous plongent dans une atmosphère grisâtre, haletante et désespérée.
Il faut dire que l'interprétation de Ulrich Mühe dans son personnage ambigu et inquiétant d'officier de la "Stasi" est absolument convaincante. Il nous captive également avec son regard perçant, sa prestance, sa froideur, mais aussi sa détresse morale que l'on devine au cours de l'évolution du film. Le couple d'artistes incarné par Sebastien Koch et Martina Gedeck soulève une forte émotion et tous deux paraissent tout à fait crédibles dans leurs rôles de victimes continuellement harcelées.


Ce film peut être considéré comme utile. La sobriété de sa construction, ses dialogues percutants et sa merveilleuse interprétation en font un message fort pour dénoncer ce genre d'appareil politique répressif et criminel, bousculant les lois les plus élémentaires de liberté par tous les moyens. Depuis, l'Allemagne a bien changé et je vous conseille vivement cette œuvre magistrale qui demeure, hélas, encore d'actualité sur notre planète.


Ce film a obtenu: - Les prix du meilleur film, meilleur scénario et meilleur acteur lors de l'European Film Awwards.
- Les prix de la meilleure mise en scène, meilleur acteur et meilleur scénario, entre autres aux German Awards.
- Meilleur film allemand.
- Le prix du public aux festivals de Locarno, Vancouver, Varsovie et de Pessac en 2006.
- Oscar 2007 du meilleur film étranger.


Box-office France: 1 516 801 entrées


Ma note: 8/10

Grard-Rocher
8
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le 5 janv. 2014

Modifiée

le 3 avr. 2013

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