Le courage de dire que la vie est plus chouette qu’elle en a l’air.

Un film n’est pas toujours ce qu’il semble être a priori : malgré son apparence intello et auteuriste, La Villa est un film audacieux et courageux.
Audacieux, parce qu’il ose être existentiel et parler de la vie en général – ce qui est toujours dangereux, on risque d’aligner les platitudes – ; courageux, parce qu’il ose dire que la vie n’est pas aussi nulle que l’on veut nous le faire croire.


La première scène annonce tout le film : l’accident du vieil homme, et la manière de filmer cet accident énoncent les idées qui seront développées par la suite.
Un vieil homme fatigué fume assis face à la mer, il dit : « tant pis ! » ; l’AVC est filmé indirectement, on ne voit que sa main se crispe sur la table ; puis la caméra s’attarde sur le cendrier avant de s’élever vers le ciel.


Ainsi, le film ne ment pas, dit les choses telles qu’elles sont, établit un constat juste. Les personnages expérimentent la dureté de la vie, le vieillissement de soi et des autres, la fin d’une époque, la leur, qu’ils fantasment forcément un peu.
« C’est horrible, tous ces souvenirs » dit Joseph (formidable Darroussin) qui repense à ces Noël d’autrefois où tous les enfants partageaient un même sapin, et regrette une époque authentique : ces flashbacks, rares scènes accompagnés par de la musique, incarnent vraiment un âge d’or idéalisé (et il est normal d’idéaliser l’époque de sa jeunesse, pour ces personnages comme pour Robert Guédiguian).
Par contraste, les deux plus jeunes personnages incarnent une nouvelle époque libérale, technocratique et jargonnante à laquelle les personnages les plus âgés n’arrivent pas à s’adapter.
Et puis, la mort et la maladie rôde : la mort qu’on ne voit pas venir, celle des parents du proprio de laboratoires, à la Philémon et Baucis, et celle qu’on voit un peu trop venir, la lente agonie du père.


Face à ce monde et cette vie injustes et méchants, il y a bien sûr la tentation de la fuite, à l’image de Bérangère (Anaïs Demoustier) qui échappe à la pesanteur d’un repas ou d’une discussion grâce à une moto ou en courant ; à l’image aussi d’Angèle qui n’a jamais revu son père depuis que sa fille est morte à cause de sa négligence. Mais cette solution n’est pas satisfaisante et cette hypothèse est vite écartée : la fuite ne résout rien, on finit toujours pas revenir, comme Angèle au chevet de son père, ou Darroussin qui ne s’inquiète pas de la fuite de sa jeune femme : « je la connais, dans une heure ou deux, elle sera là ».


La vraie solution est ailleurs, et elle est paradoxale : être joyeux malgré tout. Pour faire face, il faut choisir la tangente, sans renoncer au contact avec le monde ; s’excentrer, sans s’effacer ; regarder le monde d’un œil différent, sans renoncer à le regarder, à l’image du père très malade que ces enfants décident de sortir de son lit pour l’assoir devant la mer, afin qu’il continue malgré la maladie la contemplation de toute une vie.
C’est ce qu’illustre la caméra, qui s’autonomise parfois : lors d’une discussion déplaisante entre le proprio de laboratoires et ses parents, la caméra quitte les personnages pour filmer les jolies photos de famille et de souvenirs punaisées sur le mur.
Dès lors Benjamin est le personnage le plus beau et le plus heureux, modeste pêcheur et rêveur, qui apprend des vers et des tirades, et enchante tout ce qu’il touche.


Mais survient au dernier quart du film un moment crucial, et curieux : alors que le film allait tout doucement vers sa fin, il rebondit radicalement vers une autre dimension, en donnant de la force aux idées précédemment énoncées : c’est l’apparition (tout de même préparée) des enfants réfugiés.
Ce retournement m’a fait peur, j’étais sceptique : la question des réfugiés est si délicate que son traitement cinématographique est sujette à beaucoup d’écueils en –isme (populisme, opportunisme, misérabilisme, …).


Pourtant, même si cette séquence n’est pas celle que je préfère, notamment à cause de son manichéisme trop appuyé « méchants militaires / gentils bourgeois », le film ne s’en sort pas trop mal : lorsqu’ils sont découverts, les enfants ne sont ni filmés comme des bêtes curieuses, ni comme des créatures pathétiques, ni de trop près ni de trop loin, mais sont filmés avec la juste distance, avec sensibilité et empathie.


En fait, cette arrivée ne redéfinit pas le film, qui réaffirme ses idées avec cohérence en les appliquant à la question dramatique des réfugiés. Le film réfléchit modestement, sans trouver de solution miracle, au bon équilibre entre la reconnaissance de la gravité de la situation et la recherche de solutions, dont aucune n’est « bonne », mais dont certaines sont « moins pires » que d’autres.


La Villa dit donc que tout ne va pas si mal : démarche aujourd’hui presque réac et démodée, puisque les films les mieux côtés sont les plus futiles, lugubres et morbides.
Ce qui rend ce film d’autant plus important, et peut-être même nécessaire.

TomCluzeau
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le 27 nov. 2017

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Tom Cluzeau

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